D’où nous vient cette conviction si répandue qu’en amour rien de valable qui ne soit spontané ? Le coup de cœur et le coup de foudre ne se commandent pas, d’accord, mais l’énergie qu’ils dégagent risque de ne pouvoir nous réchauffer longtemps. Si vous avez déjà allumé un feu, vous savez qu’il faut régulièrement l’alimenter et qu’il vous arrivera sans doute de devoir souffler sur les braises pour le ranimer. N’en déplaise aux naïves et aux paresseux, il en est de même pour notre vie affective et sexuelle : nos amours s’éteignent quand on omet d’en prendre soin.

Par Armand Lequeux, professeur émérite  de sexologie à l’UCL.

Le consensus est assez vaste sur ces considérations générales, mais les avis divergent quant aux modalités de ce soin. Nous aimerions rêver que ce sera toujours évident, facile et spontané. Nous refusons d’envisager qu’il y faudra de la volonté, de la peine et des efforts. Pas d’hypocrisie ni de politesse feinte entre nous ! Notre amour n’est pas de l’ordre du devoir et encore moins de l’obligation. Si tu dois faire des efforts, je préfère que tu t’éloignes de moi. Si je dois faire des efforts, c’est que le cœur n’y est plus et que je ne t’aime plus. Requiem pour un amour mort.

Et pourtant, il y a bien d’autres domaines dans lesquels nous acceptons aisément de faire des efforts pour rester en relation. Êtes-vous toujours spontanément aimant, tendre et patient avec vos enfants ? Vous ne me ferez pas croire que vous n’avez jamais rêvé de les perdre dans la forêt en espérant que Petit Poucet aura épuisé sa réserve de cailloux blancs ! Et avec vos amis ? Le jour où vous avez consulté ensemble vos agendas, vous étiez joyeusement excité par la perspective de les recevoir, mais ce soir-là vous étiez si fatigué que vous avez prié le ciel pour qu’ils se décommandent. Alors, vous avez fait un effort : vous avez fleuri votre salon, vous avez dressé une table de fête, vous avez cuisiné votre recette préférée assortie au meilleur vin de votre cave. Quand a retenti la sonnerie de votre entrée, vous avez un peu forcé votre sourire et vous avez manifesté un peu trop bruyamment votre enthousiasme, mais très vite vous avez goûté au plaisir des retrouvailles. Vos amis vous ont quitté en vous remerciant chaleureusement et vous avez, en fait, passé une excellente soirée. Elle vous laisse un beau souvenir au bord du cœur. Était-ce de l’hypocrisie ?

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Je crois qu’en amour également nous pouvons nous habiller le cœur, fleurir nos lèvres, sortir une vieille recette et faire pétiller le brillant de nos yeux pour celle ou celui avec qui nous avons décidé de partager notre vie. Hello, as-tu passé une bonne journée ? Viens que je t’embrasse. Pose-toi, dis-moi qui tu es aujourd’hui. Ouvrir. Attendre. Se taire, peut-être. Écouter, sûrement. Il sera toujours temps de lui parler de nos soucis, notre amour n’est pas la poubelle de nos tracas quotidiens. Il arrive qu’un des conjoints reproche à l’autre d’être taciturne et avare de ses sentiments, celui-là devrait peut-être apprendre d’abord à se taire lui-même et à faire pour l’autre de la place, toute la place. La lumière de la première minute de nos retrouvailles risque bien d’éclairer et de colorer toute la soirée qui va suivre. Ce n’est pas de l’hypocrisie que de s’y préparer en s’habillant le cœur avec soin.

Vous avez deviné que je plaide pour qu’il en soit de même pour le versant sexuel de notre relation amoureuse. Il ne s’agit pas de feindre d’être habité en permanence par un brûlant désir, mais de décider de s’ouvrir à la douceur des câlineries, à la tendre chaleur des corps qui se retrouvent. Il ne s’agit pas de simuler un orgasme ni de se forcer à l’atteindre, mais de laisser venir le plaisir gratuitement, sans autre but que celui d’être bien dans la rencontre. Il n’est pas nécessaire d’avoir envie, il faut juste décider de s’habiller le cœur, lâcher prise et laisser la vie prendre soin de nous.

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Dernier ouvrage paru : Sexe, amour et société. Boiter sans doute, danser toujours. (Éd. Mols, 2013)