À 40 ans, Marie Gillain irradie dans le corps et les tripes d’une dominatrice sexy en diable. Grâce à cette Vénus à la fourrure, elle s’affranchit enfin de l’image douce et romantique qui lui a longtemps collé à la peau. Rencontre avec l’actrice,la femme et la mère à la veille de la tournée théâtrale en Belgique.
Par Isabelle Blandiaux – Photos Emmanuel Laurent
Stylisme Tony Delcampe – Make-up & hair Vasko Todorof pour Dior
Une actrice née, changeante, insaisissable, qui s’anime en un éclair, cueille ses émotions les plus fugaces et les offre à l’objectif lors de notre shooting photos. Avec son charme désarmant, sa vivacité et son audace, Marie Gillain a d’emblée séduit le public lorsqu’elle a débarqué à 16 ans dans une grosse production française (le film Mon père ce héros). Quand elle se retourne aujourd’hui, elle constate que sa – déjà longue – carrière a le relief d’« un paysage très vallonné » fait d’instants de grâce, de rôles plus confidentiels et d’absences plus ou moins prolongées. « J’ai fini par accepter que c’était cela ma vie », dit-elle, sereine. Douze ans qu’elle n’avait plus foulé les planches (depuis Hysteria, dirigée par John Malkovich) lorsque Jérémie Lippmann lui a proposé d’être la sulfureuse Vanda SM de La Vénus à la fourrure, pièce de David Ives inspirée du roman de Leopold von Sacher-Masoch, l’auteur du masochisme. « Cela faisait longtemps que je ressentais une nécessité de plus en plus forte d’incarner un personnage aussi fou et puissant », reconnaît la Parisienne d’origine liégeoise. « Je comprends que cela ait pu étonner certains de me voir dans ce rôle mais ceux qui me connaissent savent que je suis une frappadingue, très physique et viscérale. » Encensée à juste titre et saluée par un Molière au printemps dernier pour cette prestation hors norme, Marie Gillain n’a pas la grosse tête pour autant, ni l’ego qui s’emballe. En interview, elle a du mal à dire ‘je’, préférant se dissimuler derrière le ‘nous’ de l’équipe ou le ‘on’ de la vérité générale. Pudique, fort, vulnérable, à fleur de peau, ce caméléon nommé Marie craint aussi d’être trop assertif… de peur de changer d’avis par la suite. Une suite qui s’annonce sous les meilleurs augures puisque, grâce à ce coup d’éclat sur les planches, de « vraies belles propositions arrivent dans des registres différents au cinéma ». L’actrice aura donné un an et demi de sa vie à cette déesse/diablesse qu’est Vanda Jordan (en comptant les répétitions, représentations parisiennes, festivals d’été et la tournée qui démarre) et celle-ci le lui rend bien : « Je me suis reconnectée profondément à ma féminité. Après chaque représentation, je me sens vidée de toutes les bonnes comme mauvaises énergies en moi. Cela fait un bien fou, comme faire du sport pendant 4 heures par jour. C’est une drogue, une addiction. »
Psychologies : « Vous n’avez rien à m’apprendre du sado-masochisme, je fais du théâtre ! », réplique votre personnage Vanda dans la pièce. Est-ce que travailler ce rôle a impliqué de la souffrance ?
Marie Gillain : Non, au contraire, cela a été une forme de libération. Le metteur en scène Jérémie Lippmann nous a autorisés à lâcher prise, à aller au-delà de nos limites, à être ridicules, à ne pas avoir peur. Débarrassés de nos peurs, nous avons atteint un moment de liberté totale. Vanda est pleine et libre, extrêmement féministe ; elle ne s’encombre pas du regard de l’autre, elle ose dire tout haut ce que les autres pensent tout bas. Dans cette pièce, la femme reprend le pouvoir.
Vanda vous a-t-elle amenée personnellement à ouvrir les yeux sur certains conditionnements sexistes dans notre société ?
M.G. : Oui bien sûr mais j’ai déjà assez exploré ces thèmes sur scène. Je n’ai pas du tout envie de devenir porte-parole des femmes. Cette pièce parle de manière puissante de ce que sont les hommes et les femmes. Je suis quelqu’un d’assez féministe. Mais ce qui est agréable dans cette féminité, c’est qu’elle est changeante. J’ai parfois envie d’être rassurée. Je pense que nous, les femmes, ne sommes pas faciles à suivre.
Ce rôle vous influence-t-il ?
M.G. : Il m’a permis de me reconnecter à un aspect très viscéral de ma féminité, à mon côté terrien. Cette femme absolue n’est que physique, fantasque, dans la démesure, volcanique. J’ai cherché et retrouvé en moi une éruption intérieure. Le volcan n’était pas éteint mais ensommeillé. Cela m’a fait un bien fou d’aller réveiller toute cette puissance, ce tempérament de feu. Cela m’a redonné confiance et énergie et cela m’a renforcée dans qui je suis. Durant un tournage ou une pièce, j’ai envie de m’habiller comme mon personnage. Je ne deviens pas ce personnage mais il a un impact sur moi. Cela ne dure que le temps du rôle en général.
Est-ce que c’était aussi une façon d’en finir – consciemment ou non – avec votre image de fille « douce et romantique » ?
M.G. : Je suis toujours étonnée de voir qu’on considère une comédienne par l’image qu’elle dégage plutôt que par sa filmographie. Une photo dans un magazine ou un passage à la télé ont énormément de poids. Encore heureux que je sois agréable, gentille, douce… Les gens ont une image sympa de moi et c’est tout à fait normal. Je ne vois pas pourquoi je devrais être trash et politiquement incorrecte pour être une bonne actrice. Ce qui compte pour moi, c’est d’être vivante, dans l’émotion, dans la liberté, c’est pouvoir tout jouer. L’aspect médiatique du métier nous enlève de la liberté.
Mais vous vous êtes sentie libre de poser dénudée dans Lui. Un choix que vous assumez facilement ?
M.G. : Cela m’a amusée d’immortaliser autrement que sur les planches cette Vénus qui n’a pas peur de se montrer telle qu’elle est. Un joli moment que je ne regrette pas. Mais on m’en reparle après comme si c’était quelque chose de fou, en donnant encore plus d’importance à cette séance photos. Jane Birkin en a montré beaucoup plus dans les années 70. On est revenu à une époque où d’un côté on a les reines du r’n’b qui apparaissent comme des actrices pornos dans leurs clips et où c’est toute une histoire de voir une actrice qui montre un bout de sein. Dans une société où la femme est un objet perpétuel, les femmes ont besoin de sentir qu’une femme qui n’a plus 20 ans est à l’aise dans son corps et l’expose librement. Mes petits-enfants diront peut-être un jour que Mamy n’était pas si mal à 40 ans ! (rires)
Et le fait de jouer en bustier et porte-jarretelles ce personnage tempétueux, cela allait de soi pour vous ?
M.G. : Non, je suis pudique en général. Cela m’a été possible parce qu’il y a eu du temps entre le moment où j’ai accepté et le moment où je me suis retrouvée sur scène. J’ai tout de suite eu besoin de m’exposer, pour m’entraîner à ne pas être morte de honte ou complexée. J’ai exploré mon rapport au corps et j’ai porté un corset de travail pour trouver une posture. Cette étape m’a permis de me sentir à l’aise sur scène, devant mon partenaire, mon metteur en scène, toute l’équipe. J’avais tellement mis de côté l’aspect sexué de mon corps – devenu une matière dans ma recherche – que j’oubliais que j’étais une femme en petite tenue face à des hommes. J’étais une espèce de camionneuse-camarade. Nous avons aussi créé un vrai costume de théâtre sur mesure. Le corset restructure le corps. Je n’aurais pas pu jouer en petite culotte et soutien-gorge. Le seul moment où j’apparais nue, à la fin, je suis de dos et éclairée à la bougie. Un moment symbolique important – cette femme se débarrasse de tous les artifices pour être enfin libre – qui ne m’expose pas vraiment.
Qu’est-ce qui vous fait peur dans la vie ?
M.G. : J’ai longtemps eu peur de l’échec : je n’entreprenais pas des choses par peur de me prendre un mur ou qu’on me dise ‘non’. Une des grandes peurs de ma vie, c’est qu’il arrive quelque chose à mes enfants. L’amour infini que j’éprouve pour eux induit cette peur infinie. Pour moi-même, j’ai moins peur. De l’avion oui, donc de la mort. De perdre le contrôle aussi.
Perdre le contrôle, c’est précisément ce qu’on vous demande dans votre métier, non ?
M.G. : Oui mais je le décide. On ne me force pas à mener un projet, tourner un film, monter sur une scène. C’est un choix. Bizarrement, j’ai une profession où en un quart de seconde, j’ai accès mes émotions, je lâche prise. En cela, il m’équilibre. Et quand on a la chance de pouvoir faire ce métier de façon constante, toutes les peurs, les angoisses, les mauvaises énergies, on les transforme en autre chose par le jeu.
Et les moments de creux, comment les gérez-vous ?
M.G. : Ce sont les moments les plus difficiles. Il y a la peur de ne pas être reconnue et puis surtout, la matière émotionnelle que j’emmagasine tous les jours ne se décharge plus. Avoir une vie de famille très structurée, marquée par des horaires et des responsabilités, me donne un rythme, me rassure. Mon rôle de mère me rend confiante. Je suis là pour protéger quelqu’un, pas juste pour faire mon cinéma. Je sers à quelque chose. Cela me rappelle à l’ordre dans les moments de faiblesse aussi, cela recadre mes éventuels problèmes d’ego. Cette vie de famille m’est essentielle dans ce métier inconstant, irrégulier. Plus j’avance et plus j’ai de moments où j’ai vraiment besoin d’être avec les miens. Je sais également quand c’est important pour moi de passer du temps juste avec mon homme, même si j’adore être avec mes enfants. Cela devient vital. Je ne filtre pas beaucoup mes impressions et sensations. Je tire la sonnette d’alarme dès la première secousse. On ne s’ennuie pas. (rires)
Osez-vous désormais susciter des rôles, prendre l’initiative auprès de réalisateurs ?
M.G. : Oui, cela m’arrive. Le point de départ, c’est de formuler son désir. Je vais vers des projets que je désire profondément. Tout n’est qu’une question d’énergie et de transmission. J’ai rencontré un énergéticien qui m’a fait prendre conscience que tout part de moi. Quand on désire certaines choses, les autres autour le ressentent et c’est communicatif. J’ai réalisé qu’il faut arrêter de se trouver des excuses mais qu’il faut avoir envie de trouver des solutions. Il y a des jours où, actrice ou pas, j’ai le sentiment d’être transparente dans la rue et d’autres où tout le monde me regarde. C’est lié au rayonnement qu’on a tous. Les mauvaises périodes où la poisse attire la poisse et devient générale viennent d’un blocage intérieur. Une séance de nettoyage énergétique me fait beaucoup de bien de temps en temps. Cela m’allège, m’apaise, me rebooste dans mon énergie vitale, de communication avec les autres et cela m’aide à avoir la foi dans ce que je fais.
Être reconnue par vos pairs via un Molière, cela a boosté votre confiance ?
M.G. : Je pense qu’il y a des moments dans la vie où j’ai eu besoin de reconnaissance. Recevoir un prix alors m’aurait fait un grand bien, m’aurait sans doute consolée. Mais là, j’étais déjà tellement heureuse que le spectacle marche, séduise le public et la presse ! Le Molière, c’est la cerise sur le gâteau : cela m’a vraiment fait plaisir mais une semaine après, je n’y pensais plus.
Vous vous sentez légitime comme actrice aujourd’hui ?
M.G. : Oui. J’ai commencé très jeune. Ce n’est pas le fruit du hasard puisque c’était mon rêve absolu. Mais comme c’est arrivé très tôt, je me suis longtemps demandé si tout cela avait un sens et si j’étais à ma place dans cette vie-là. J’ai eu la chance que mes parents me donnent cette confiance en qui je suis, en ce que j’aime. Ils ne m’ont jamais coupée dans mon élan et dans mes rêves d’être comédienne. Ils m’ont accompagnée. Je suis arrivée adolescente dans ce métier avec beaucoup de foi en moi et puis j’ai découvert ce que c’était que d’être comédienne sur la durée. Cela déstabilise. Rien n’est jamais acquis. Il faut avoir reçu beaucoup d’amour et ne pas être trop fragile pour tenir. Dans ma vie je peux être très mélodramatique, me noyer dans un verre d’eau. Je n’ai pas beaucoup de distance. Par contre, si je tombe, je me relève assez vite. J’ai cette faculté à remonter en selle comme un bon petit soldat.
Vous avez fêté vos 40 ans en juin dernier. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
M.G. : Mes 40 ans ont été marqués par cette belle expérience théâtrale. Cela m’a renforcée dans la sensation profonde que tout est possible. Et que la vie est faite de rendez-vous. J’aime mon âge parce qu’il m’autorise à avoir une féminité plus assumée. Jusqu’à un certain moment, on aspire à quelque chose, à devenir quelqu’un. Là, j’ai envie d’être qui je suis et de kiffer ma vie. On n’en a qu’une ! J’ai encore beaucoup de belles années devant moi en tant que femme mais le sablier commence à diminuer. Je veux aller à l’essentiel. Ceci dit, je suis faite d’inconstance. Donc c’est compliqué de tirer des bilans de manière définitive. J’aime aussi cet âge parce que c’est un moment génial avec ses propres enfants. Un moment de transmission. J’aime la sensation d’être une maman poule avec ses poussins, de veiller au grain, tout en étant une poule pas encore totalement déplumée. J’adore me sentir mère et rester femme. Avant c’était assez confus dans ma tête. Je ne pouvais plus supporter de me voir en maman et en même temps, je n’avais pas complètement envie non plus d’être une femme. Puis les rôles se sont harmonisés.
Qu’avez-vous envie de transmettre à vos deux filles ?
M.G. : Je les accompagne du mieux que je peux pour qu’elles aient confiance en elles, qu’elles se trouvent belles, valables, qu’elles n’aient pas peur. On met souvent trop de pression sur les enfants. Dans ma famille, on n’a jamais perdu de vue qu’il fallait rire, des vrais moments où on décharge toute son énergie. On se retrouvait spontanément à danser la danse des sioux tous les quatre dans le salon avec la musique à fond et on finissait à moitié affalés sur les canapés. J’ai envie d’offrir cette soupape de décompression à mes filles. Avec ma vie d’actrice, je suis très loin de l’essentiel que je souhaite leur transmettre. C’est spécial d’avoir une maman qui joue des personnages, embrasse des garçons pour du faux dans des films, incarne des méchantes ou une dame qui va mourir mais ce n’est pas elle… J’essaye de les tenir à distance de tout cela mais j’ai aussi envie de leur dire que c’est un magnifique métier de passion.