L’arrivée en masse des jeunes générations dans les entreprises ne passe pas inaperçue. Changements d’attitude, déclarations surprenantes, comportements incompréhensibles,… les jeunes recrues choquent souvent leurs aînés. Seuls les leaders éclairés parviendront à canaliser leur formidable énergie. Les autres devront revoir leur copie ou prendre la clé des champs.
Par Pierre Lucas, senior coach au BAO
Il y a trois ans, j’ai eu la chance de participer à un séminaire de réflexion sur le thème du management de la génération « Y ». Ce séminaire regroupait une vingtaine de responsables de ressources humaines de grandes entreprises belges provenant de divers secteurs.
Pour rappel, la génération dite « Y » comprend les jeunes nés entre 1970 et 1990. Elle est appelée ainsi en référence au « Y » que traçait le fil de leur baladeur sur leur torse ou encore pour évoquer leur soif de comprendre avant d’obéir -Y = ‘WHY’, ‘pourquoi’ en anglais -.
En bref, une génération qui a grandi dans un monde où le PC, les jeux vidéo et Internet se sont développés de façon exponentielle. Les jeunes « Y » ont évolué dans une société où la famille traditionnelle n’était pas obligatoirement composée d’un couple parental unique (divorces, familles recomposées,…). Le rapport à l’autorité en a donc été sensiblement influencé.
Il est ressorti de ce séminaire que cette génération ne pouvait pas être managée comme les précédentes, ce que la littérature a bien confirmé depuis lors. Mais une autre conclusion a également été tirée par ces 20 professionnels des ressources humaines : faire partie de la génération « Y » n’est pas qu’une question d’âge… En effet, certains « vieux » sont « Y » dans l’âme et surtout dans leur attitude et leur capacité à changer de plus en plus vite.
Un nouveau rapport à l’autorité
Pour les jeunes ou moins jeunes de la génération « Y », plus question de considérer l’autorité sur la base du seul critère hiérarchique. Une autorité bien comprise basée sur un échange équilibré et un respect mutuel, la génération « Y » l’accepte volontiers. Mais obéir aveuglément au boss tout simplement parce qu’il est le boss ne fait définitivement plus partie de leur carte du monde.
Je ne résiste pas à l’envie de vous partager une anecdote illustrant ce changement profond de paradigme. Dans une grande et illustre entreprise , le « grand patron » avait coutume – une fois par an – d’inviter ses jeunes recrues (ingénieurs et autres têtes couronnées) à un petit déjeuner au cours duquel il consentait une heure de son temps à partager café et autres croissants. Quelle ne fut pas sa surprise et sa colère en s’entendant dire par son assistante, chargée de gérer les invitations, que près des trois quarts de ses jeunes employés – futurs cadres – ne pourraient se rendre au rendez-vous et ce pour diverses raisons : un tel devait conduire ses enfants à l’école, tel autre était en congé, certains ne
voulaient pas sacrifier leur jogging matinal, d’autres encore – plus francs peut-être – avouaient sans agressivité aucune que cette initiative ne les séduisait que mollement !
Il y a peu de temps encore, on n’aurait pas pu imaginer un tel manque de respect à l’égard du grand patron. Beaucoup d’anciens se seraient dit choqués par une telle attitude. Certains auraient même été jusqu’à modifier leurs dates de vacances pour avoir la chance de déjeuner en compagnie de l’administrateur délégué.
Les temps ont changé. Le fait est que les nouvelles générations ne placent plus exclusivement le boulot au sommet de leur hiérarchie de valeurs. Et qu’ils n’hésitent pas à affirmer haut et fort que VIVRE leur vie, ce n’est pas tout sacrifier (santé, couple, enfants, famille, plaisirs,…) pour le profit d’une boîte aussi prestigieuse soit-elle.
Cela signifie-t-il que les jeunes ne veulent plus travailler ? Que seuls les jeux vidéos, les plaisirs faciles et le farniente intéressent ? Que nenni ! Ces jeunes ont une puissance de travail et une créativité énormes. Encore faut-il la découvrir et la faire fleurir.
Et la génération Z ?
Que ceux qui ont cru à un mouvement passager ne se fassent pas trop d’illusions.
Avec la génération suivante – appelée « Z » – le phénomène s’amplifie et s’accélère. Cette génération comprend les jeunes nés entre 1995 et nos jours.
La génération « Z », appelée aussi génération silencieuse - certains la comparent à la génération 1925-1945 - ou génération ALPHA, poussera les managers de demain encore plus loin.
Ces « Z » sont nés avec Internet et ne conçoivent que très difficilement que cet outil et ses dérivés puissent un jour n’avoir pas existé. Cette génération est décrite par les sociologues comme une génération débrouillarde, pragmatique, autodidacte, entrepreneuriale et passionnée. Grandissant dans le climat de mondialisation, connectés par-delà les frontières ou les fuseaux horaires, leurs caractéristiques se retrouvent de façon similaire de par le monde. Les « Z » seraient la génération la plus ouverte d’esprit jusqu’ici.
On les dépeint comme des utopistes peu dociles, qui réclament un encadrement capable de canaliser leur énergie vers des projets positifs et ayant un sens. Beaucoup d’entre eux sont encore aux études, et se posent très jeunes des questions sur le sens du travail et l’équilibre qu’ils souhaitent dans leur vie. Ils sont détachés de valeurs traditionnelles comme le respect de la hiérarchie ou d’horaires établis. N’éprouvant pas comme leurs aînés le besoin de scinder clairement le professionnel du privé, ils laissent ces deux mondes exister en permanence. Empreints de communication digitale, particulièrement via les médias sociaux, ils ont l’habitude que l’information se propage instantanément, ainsi que d’avoir le droit de tout commenter et la possibilité d’accéder à ce qui les intéresse à toute heure et partout… Au travail, beaucoup de managers se sentent désarmés face à ces jeunes aux comportements parfois qualifiés d’insolents.
Une autre anecdote me vient, issue du monde de l’enseignement où – ne l’oublions pas – les professeurs sont avant tout (en théorie du moins) des managers, éveilleurs de talents. Un professeur d’histoire sévère et arrogant avait annoncé à ses élèves que la prochaine leçon aurait comme sujet la vie de Clovis. Espiègles et désireux de jouer un tour à leur enseignant, les étudiants adolescents avaient bloqué le sujet à fond en cherchant sur Internet toute une série d’informations. Et le jour de la leçon, ils se sont amusés à poser mille questions à leur professeur de façon à le coller… La réaction de l’enseignant fut violente tant il se sentait frustré, impuissant et incapable de répondre à ses élèves qui, manifestement, connaissaient la matière bien mieux que lui. N’eût-il pas mieux été inspiré d’en rire et – mieux encore – de rebondir et d’utiliser le formidable travail de recherche de ses élèves ?
La vérité vient de la bouche des enfants …
Ce vieux dicton n’est pas sans lien avec ce qui précède. Car qui donc a dit que les « grands » détenaient le savoir et que la transmission de la connaissance devait forcément passer du « haut » vers le « bas ».
Connaissance = Co-Naissance …
Les managers qui n’ont pas compris qu’ils devaient être avant tout des coachs, des éveilleurs de talents, des accompagnateurs, des accoucheurs de… managers n’auront plus droit de cité dans les entreprises de demain.
Manager – Parent ?
Mon métier de coach, inspiré également par des formations en thérapie familiale, m’a amené à formuler cette hypothèse que certains jugeront peut-être osée : un bon manager (leader) doit être comme un bon parent. Tout comme un père ou une mère, il se réjouira donc pleinement le jour où son fils ou sa fille le dépassera, fier d’avoir été un tuteur, protecteur, conseiller, guide, éveilleur de talents…
De là à dire que l’Amour aurait bien sa place dans le monde du travail, il n’y a qu’un pas. Pour ma part, je le franchirais volontiers.
Pierre Lucas
Senior coach et co-fondateur du BAO Group Learning and Developement, avec son équipe, il intervient de manière pragmatique et créative pour amener les collaborateurs à être alignés et performants.