À 50 ans, le vigneron du Languedoc-Roussillon Gérard Bertrand vient de terminer sa 40e vendange. Il célèbre ce double anniversaire dans un livre, Le Vin à la belle étoile, qu’il a écrit à la première personne du singulier. On y découvre son métier-passion qui lui a été transmis par son père, son goût du défi, son crédo pour la culture en biodynamie, sa quête profonde de cohérence personnelle et de vie en harmonie avec la nature.

50 ans, tu auras 40 ans d’expérience. » C’est ce que Georges Bertrand a dit à son fils Gérard alors âgé de 10 ans la première fois qu’il a participé aux vendanges. Cette enfance dans les vignes et ce père « chevalier des temps modernes » ont inspiré le vigneron, ancien rugbyman devenu une référence mondiale de la biodynamie avec 400 hectares de culture exigeante dans le Languedoc-Roussillon, en accord avec les planètes et la terre nourricière. « On n’est pas juste dans la production d’une boisson hydro-alcoolique, on est dans la propagation de la mémoire du terroir. Telle est ma quête. Parce que le vin est aussi porteur d’une charge

émotionnelle », dit-il avec l’accent du Sud. Pour Gérard Bertrand, « faire le meilleur vin possible » est également spirituel, le résultat d’un cheminement initiatique qui passe forcément par le développement personnel.

En quoi le développement personnel joue-t-il un rôle important dans votre vie ?

Je me suis toujours fixé des objectifs assez élevés. Parce que je pense que, dans la vie, on doit savoir pour quoi on est fait. Et quand on le sait, on doit faire les choses à fond. Le risque le plus grand, c’est de ne pas en prendre. J’ai toujours eu ce goût du challenge. Dans ma construction personnelle, le rugby professionnel m’a permis de repousser mes limites. J’ai aussi une forme d’ascèse : je pratique la méditation chaque jour. Si on veut prendre soin des autres, il faut prendre soin de soi. Les gens sont tellement stressés qu’ils oublient parfois que leur vie est unique. Et la spiritualité fait partie de ma vie : la foi permet de renforcer son parcours en donnant plus de racine et de profondeur, elle permet également de mieux traverser les coups durs. Je ne me suis jamais forcé. J’ai toujours eu cette aspiration. Chaque décision, je la passe par la réflexion profonde.

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Quel a été le déclic qui vous a amené à développer la culture en biodynamie  ?

Il y a eu deux phases. Je me soigne par homéopathie depuis 28 ans, j’ai vu les bienfaits que cela m’apportait, l’équilibre aussi. Et il y a 15 ans, j’ai lu un livre de Rudolf Steiner, Le cours aux agriculteurs : une révolution ! Mon côté pragmatique m’a fait commencer par la plus mauvaise parcelle du domaine : on a cultivé la moitié en traditionnel et la moitié en biodynamie. Au bout de deux ans, j’ai vu les effets sur la vigne et dans le verre. Les vins avaient plus de fraîcheur, de complexité, de minéralité, une meilleure acidité. La vigne se comportait mieux, les souches en difficultés retrouvaient un certain équilibre. On est passé en 13 ans de 2 à 400 hectares et aujourd’hui, nous sommes une référence mondiale de la biodynamie.

La biodynamie prône la cohérence entre le sol et le ciel. Qu’est-ce que cela implique  ?

L’être humain vit entre le ciel et la terre, au milieu. Les ceps de vignes aussi. Forcément, les planètes interagissent avec la silice et le calcaire dans le sol, le cycle de la lune imprime son influence. Dans la biodynamie, on a cinq catégories de jours différents auxquelles sont associés des traitements spécifiques : les jours fruits, les jours fleurs, les jours racines, les jours feuilles et les noeuds lunaires. La vigne est une plante noble séculaire qui a besoin d’être bien comprise et traitée pour donner le meilleur d’elle-même. Il faut que la mémoire du sol et les caractéristiques du terroir se retrouvent dans le vin. Et pour cela, la plante doit être en équilibre avec la nature, la terre doit être souple, il doit y avoir une connexion entre les forces cosmiques et telluriques. C’est un rayonnement bouleversant, au point qu’un grain de raisin peut porter en lui les arômes de tous les autres fruits du biotope environnant.

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Certains vins sont porteurs d’un message, dites-vous. Quel est ce message  ?

Le style d’un vin est lié à l’assemblage de différents cépages, aux méthodes culturales, de vinification, aux techniques employées. Le caractère du vin est lié au terroir, à l’adéquation entre le sol, le cépage et l’être humain. L’âme du vin, c’est ce qui reste quand on l’a bu. Il y a des vins qui, 20 ans après avoir été bus, laissent encore dans la mémoire un message. Quand je bois un vin d’exception, cela va au-delà de l’émotion, le message ne passe pas par le cœur mais par le néocortex, par une forme de connexion. J’ai bu un vin du domaine La Romanée-Conti 1942, le millésime des femmes parce que les hommes étaient à la guerre : j’ai ressenti de la souffrance mais aussi un élan, une envie de vivre. On est dans le subtil.

Avez-vous été éveillé à cette sensibilité  ?

C’est un long cheminement. Le paysan est un être connecté à la nature. C’est lui qui s’occupe des paysages. Sans le savoir, il fait de la méditation. J’ai toujours vécu à la campagne, donc j’ai toujours ressenti cela. Quand vous vous couchez le soir, vous vous sentez moins seul et vous savez qu’il existe une autre dimension que celle que vous vivez tous les jours. Cela fait partie d’une réflexion que j’ai eue. J’ai aussi beaucoup lu, rencontré des personnes qui ont fait que j’ai éveillé ma spiritualité, que j’ai été en quête de sens et que j’ai donné un chemin de plus en plus précis à ce que je fais. En avançant on renforce ses convictions.

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Comment voyez-vous l’avenir  ?

Ce qui m’anime c’est d’être conscient de ce monde qui change vite, qui offre beaucoup d’opportunités mais qui est en bouillonnement permanent. Il faut que les gens comprennent qu’il ne faut jamais perdre son humanité. La technologie ne remplacera jamais l’intuition et l’inspiration. La connexion à la nature doit rester importante. Le bonheur est en marchant. Quand on marche, deux déséquilibres créent l’équilibre, pied gauche puis pied droit. Pour avoir une vie en harmonie, il faut des moments intenses d’exaltation mais aussi des moments de calme intérieur et de solitude pour se retrouver, éviter de se perdre.

Le Vin à la belle étoile, Gérard Bertrand
(éditions de la Martinière), 202 p., 16€.