Et si oui, quels sont les éléments qui la facilitent ? C’est pour tenter de répondre à ces questions qu’Isabelle Christiaens, réalisatrice à la RTBF, propose une série documentaire étonnante intitulée L’homme au harpon. Pendant deux ans, elle a suivi Alain, condamné à 14 ans de prison en 2009 pour une tentative d’assassinat sur le mari de son amante. Après avoir purgé 4 ans et demi de prison, il a reçu le droit de sortir une fois par mois en congé pénitentiaire pour préparer sa réinsertion et tenter d’obtenir sa libération conditionnelle. Rencontre.
propos recueillis Par Christiane Thiry
Comment cette série s’est-elle mise en place ?
Je voulais suivre un détenu dans sa réinsertion. J’ai rencontré Alain à la prison de Nivelles. On a discuté pendant plus de deux heures. S’il était d’accord, je le filmerais durant les 36 heures de ses congés pénitentiaires. Je filmerais tout, en immersion complète. Je lui ai précisé que mon but était de raconter ce qui se passe, sans « fictionnaliser ». Et il a accepté.
Vous l’avez suivi dès sa première sortie ?
Pratiquement. Et je l’ai suivi, lui et sa famille, à chaque congé pénitentiaire. Dans le premier des huit épisodes, Le congé du pénitent, j’ai filmé notamment son père, Papy, 74 ans, qui a pris en charge, seul, les deux enfants d’Alain. Il raconte que son fils a commis cet acte parce qu’il était fou d’amour et que le mari de sa maîtresse était très violent. Suite à cet acte, son fils, qui élevait seul ses enfants, a tout perdu.
Que ressentiez-vous en filmant de près l’intimité d’Alain et de sa famille ?
Au début, j’étais toute tremblante avec ma caméra, puis je l’ai suivi et les choses sont devenues de plus en plus naturelles. Alain est un homme brut de décoffrage, mais c’est un homme droit, de parole. J’ai tourné non stop, chaque fois que je voulais couper, il se passait quelque chose. Et c’est ainsi que j’ai découvert l’ampleur des problèmes auxquels il était confronté. Hallucinant!
Comment renouer le lien familial après autant d’absence ?
C’est le premier but que poursuit Alain, recréer un lien avec sa famille, avec ses enfants qu’il a quittés jeunes adolescents et qui ont dû se construire avec la seule aide du grand-père. C’est très difficile lorsque le détenu n’a qu’une nuit à l’extérieur par mois ! Pendant ses 36 heures de liberté, il doit retrouver sa famille, aller voir un psychologue, trouver une formation ou un travail, un logement…
Comment Alain réagit-il face à ses enfants ?
Il est très respectueux, il ne s’impose pas, il écoute. Il dit que c’est lui le fautif : « Avant c’est moi qui ouvrais la porte, maintenant je dois attendre pour qu’on me l’ouvre ». Le deuxième épisode montre combien la famille a souffert : les enfants sont en décrochage, le père épuisé et souvent débordé par toutes les charges à assumer. Alain tente de réorganiser tant bien que mal la maison noyée d’objets et souvent envahie par les amis des enfants. « Ma peine, je vais la purger maintenant », exprime-t-il. « En prison, je suis en dehors de la réalité. Mais tout cela, c’est à cause de moi ».
Chaque épisode pose de nouvelles questions ?
Oui, après les enfants, on observe le noyau d’amis qui tournent autour de la maison et les difficultés d’Alain à reposer un cadre. Son fils, 19 ans, décide de vivre avec une amie beaucoup plus âgée que lui et tombe enceinte ; sa fille, 21 ans, déjà mère d’une petite fille, est à nouveau enceinte d’un autre père, absent. Je filme tout, de l’intérieur, sans voyeurisme.
Se faire oublier, n’est-ce pas la tache la plus difficile dans ce type de documentaire ?
Oui, c’est pour ça que j’étais seule avec ma caméra. Il faut trouver et multiplier les manières de me faire oublier. Alain est naturel et ne joue pas, Papy me regarde, droit dans les yeux, donc dans l’objectif. Je veux être juste et respectueuse. Je ne souhaite surtout pas être dans le jugement. Ce qui en ressort, c’est l’immense difficulté sinon l’impossibilité d’entamer un travail de réinsertion dans de telles circonstances. Et l’exemple d’Alain est pourtant positif parce qu’il est soutenu par sa famille et qu’il veut absolument s’en sortir. Mais qu’en est-il de tous les autres détenus? C’est tout ce combat vers la liberté conditionnelle qui est en jeu.
La série de 8 x 26 minutes sera diffusée sur La Deux les 12 -19 et 26 mai à 20h35. Réalisée par Isabelle Christiaens et coproduite par Novak Prod et la RTBF.
1. Isabelle Christiaens est réalisatrice depuis 25 ans à la RTBF. Sortie de l’ IAD en 1985