Il n’est pas rare que l’analyse des conflits conjugaux nous conduise, malgré nos réticences vis-à-vis des stéréotypes Mars/Vénus, à retrouver des situations dans lesquelles les caractéristiques masculines et féminines classiques sont exacerbées au point de rendre problématique tout dialogue constructif.

Par Armand Lesqueux

C’est ainsi que, contrairement à Henry, Juliette est dotée d’une grande sensibilité aux climats relationnels, aux ambiances psychologiques. Elle perçoit et décode très finement les émotions, les siennes et celles des autres. Elle est consciente qu’il s’agit à la fois d’une force et d’une faiblesse, mais elle n’est pas prête à transiger : c’est dans ce monde de l’intime, du vécu, du partage émotionnel qu’elle veut vivre pleinement, sans concession, en particulier dans sa relation conjugale. On peut être surpris par son choix amoureux : Henry est plutôt méthodique et rationnel, réservé, assez froid, toujours un peu éloigné de lui-même et des autres. Avec son besoin impérieux de proximité, Juliette construit sa vie avec un homme qui a besoin de distance !  Paradoxe incompréhensible ou protection contre la répétition de douloureux échecs essuyés lors de relations fusionnelles précédentes ? Henry, pour sa part, est séduit par ce que lui fait découvrir Juliette : le monde de l’affectif et de l’émotif dont il a tant manqué dans son enfance.

Le décor est planté, le scénario risque de suivre son cours classique : après la romance viendra la désillusion. Les qualités deviendront des défauts. « Elle m’emmerde avec ses exigences. J’étouffe. » « Il m’insupporte avec sa passivité. C’est trop lourd. » Juliette demande plus de présence et plus d’investissement à son conjoint qui a de plus en plus besoin d’air. Henry se sent humilié par les reproches de sa partenaire, en particulier dans le domaine sexuel : il n’adopte pas les stratégies de séduction adéquates, il caresse mal et distraitement, il jouit trop vite… Il a de plus en plus peur d’être confronté à ce qu’il ressent tantôt comme sa propre incompétence indépassable, tantôt comme une exigence insurmontable de sa partenaire. Sa pulsion sexuelle se détourne de Juliette qui se sent humiliée à son tour de n’être plus désirée. Elle ne se sent plus reconnue comme femme, comme amante. Sa colère explose et terrorise Henry qui se fige complètement.

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Help ! Est-il possible de réconcilier la colère de Juliette et la peur d’Henry ? Existe-t-il une autre option que le gâchis, la haine, l’amertume et la fuite ? Le dialogue, me direz-vous. Rien de mieux ! D’accord, mais c’est le terrain de prédilection de Juliette ! Henry n’y viendra que profil bas, à contrecœur et bien décidé à ne pas se laisser noyer, ni dans les bons ni dans les mauvais sentiments. Alors ? Victoire par forfait pour Juliette ? Décidément, tous pareils les mecs ? À moins que… Il faudra un courage inouï à nos deux protagonistes pour se retrouver sur un terrain, non pas neutre, mais commun. Voulons-nous tracer nos vies ensemble ? Si oui, on y investit quoi et combien ? Remise à plat, pas de vainqueur ni de vaincu, on se retrouve par en dessous, en nudité. Pardon pour l’humiliation et merci d’être toi… « Merci pour ta colère, Juliette, et merci de m’ouvrir au monde des émotions et des sentiments. Sans toi, la vie serait en noir et blanc. Avec toi, c’est le technicolor tous les jours. » « Merci, Henry de me confier ta peur. C’est paradoxal, car tu m’apportes la stabilité dont j’ai tant besoin. Sans toi ce serait l’excès, le chaos, la confusion. Avec toi, je peux vivre en paix, avec le monde, avec moi-même, avec toi… Au travail, Juliette et Henry, vous êtes les derniers aventuriers des temps modernes ! 

Armand Lequeux, professeur émérite  de sexologie à l’UCL. Dernier ouvrage paru : Sexe, amour et société. Boiter sans doute, danser toujours. (Éd. Mols, 2013)