Notre rubrique sur le bien-être au travail clôt la série d’articles sur l’impact de nos sens dans la vie professionnelle en se penchant sur l’odorat. Un sens complexe et subtil. L’impact des fragrances sur nos humeurs et nos comportements, l’utilisation qu’on peut en faire au travail, mais aussi la difficulté de composer avec les odeurs corporelles des collègues et comment en parler, voici quelques réflexions pour se mettre au parfum.
Par Fabienne Doyen et Vanessa Heytens, seniors coachs au BAO Group- Photographie, stylisme, Hair make up : Mathilde Troussard- Modèle : Ana Cembrero Coca.
Nous voilà aux portes de l’été. Comme chaque saison, il apporte son bouquet d’arômes spécifiques : la nature nous offre d’autres fleurs et plantes, nous consommons d’autres mets, les vêtements plus légers ressortent des armoires,… Des parfums reviennent que nous n’avions plus sentis depuis des mois, déjouant l’accoutumance à d’autres odeurs qui s’est installée. Mais lorsqu’il fait chaud, certains effluves peuvent aussi devenir synonymes de nuisance : plus de transpiration, les excès de parfum, les fenêtres ouvertes qui laissent se propager les senteurs,… Notre odorat est un ami sensible, qui a un grand impact sur nos réactions, notamment au travail. À nous de bien le traiter.
Sophistication
L’odorat est le plus sophistiqué de nos sens, il fait l’objet de bien des études. Les recherches scientifiques ont constaté que l’être humain est le mammifère possédant le sens olfactif le moins performant. Nous ‘sniffons’ moins que nos collègues mammifères, nous nous guidons moins au moyen de ce sens. Et pourtant nous serions potentiellement capables de discerner des dizaines de milliers d’odeurs différentes, voire plusieurs milliards comme le laisse entendre une étude parue en 2014. Et les femmes seraient bien plus douées que les hommes pour détecter les odeurs, les reconnaître et les mémoriser. Les quelques 12m³ d’air que nous brassons chaque jour, tout simplement en respirant, sont le vecteur potentiel d’un grand nombre d’odeurs. Et les récepteurs olfactifs du nez, qui captent les fragrances, sont en connexion directe avec une zone du cerveau qui régit les domaines de la mémoire et des émotions. L’odorat affecterait ainsi quotidiennement quasi 75% de notre état émotionnel. Or, il apparaît que 80% des stimuli olfactifs perçus par un humain donneraient une réaction d’aversion, pour 20% qui amèneraient des émotions positives. Un héritage d’une époque où il était important de sentir ce qui pouvait être dangereux : l’approche d’un animal, un aliment avarié, une blessure infectée,…
La sensation agréable, neutre ou désagréable que va provoquer une senteur est bien entendu propre à chaque personne. Elle va être liée à sa concentration dans l’air, mais aussi au terrain génétique et social de l’individu.
Odorat et comportements
La connexion étroite entre la glande olfactive et le système limbique, celui des souvenirs, des schémas connus et des émotions complexes, explique à quel point les odeurs peuvent impacter notre comportement au quotidien, même à notre insu. Nous avons par exemple déjà tous vécu l’un ou l’autre moment où un parfum nous remettait soudainement en tête une personne, ou un moment de notre vie. L’odeur de notre dessert préféré quand nous étions enfant réveille de beaux souvenirs et nous rend joyeux. Le parfum de notre premier amour peut nous remettre dans un état amoureux alors qu’aucune personne n’est l’objet de nos élans dans les alentours. Les effluves d’une salle de classe peuvent nous ramener en un instant à la pénibilité des longues heures passées assis derrière un banc, et saper notre énergie pour le reste de la journée … Suivant la teneur émotionnelle de ces évocations, notre humeur du moment sera influencée positivement ou négativement et nous nous comporterons différemment. Et cela vaut bien sûr pour la sphère privée, comme pour la sphère professionnelle. D’ailleurs, au-delà des souvenirs que nous y associons, certaines fragrances sont reconnues pour leurs effets positifs sur les humeurs, le niveau de vigilance et… la productivité ! Diminuer le stress, combattre l’apathie, augmenter la stimulation, favoriser la détente, accroître la concentration,… les effets des parfums sur notre système sont multiples.
La menthe poivrée, par exemple, aide à se concentrer sur une tâche complexe et difficile. La diffusion de lavande aux heures de pause aurait un impact positif sur le niveau de performance au travail. Les arômes de citron et de vanille réduisent le stress.
Attention toutefois : les parfums obéissent aux lois qui régissent tous les stimulants. Ils excitent le système nerveux, et lorsque cette stimulation est prolongée ou excessive, ils produisent fatigue et tensions corporelles ou psychiques.
Utilisés avec soin, les parfums auront un impact positif sur le climat et les résultats du travail. D’ailleurs de plus en plus d’ergonomes et de responsables marketing jouent sur l’odorat pour créer un climat propice à la performance (voir l’interview d’une conseillère professionnelle en la matière).
Odeurs corporelles et feedback
Beaucoup d’entre nous se retrouvent au travail en contact avec d’autres personnes dans des endroits à l’atmosphère confinée. L’occasion de respirer pleinement les effluves que dégagent collègues ou clients… un cocktail de senteurs qui peut se révéler explosif pour les sens et déboucher sur des comportements contre-performants ou inappropriés.
On le sait bien, et les études en la matière le confirment, les stimuli olfactifs influencent notre sympathie ou notre antipathie envers une personne. Certaines odeurs corporelles sont un agent d’attraction (sexuelle notamment), tandis que d’autres (ou parfois les mêmes dans d’autres contextes) sont une cause de répulsion. Dans certains secteurs, il est normal de se parfumer – notamment pour masquer les odeurs corporelles – et dans d’autres, porter un parfum qui reste dans votre sillage est considéré comme une coquetterie insupportable.
C’est un des grands tabous au travail: parler à quelqu’un de son odeur corporelle. Faire remarquer à un collègue qu’il sent bon, pourquoi pas. Mais pour les cas de mauvaise haleine, odeur acre de transpiration, aftershave en surabondance ou encore eau de toilette qui donne des maux de tête… on en parle, oui, souvent à des tas de gens… sauf à la personne concernée.
La raison pour laquelle il nous est si difficile de dire à quelqu’un que son odeur nous incommode, c’est qu’il s’agit d’un terrain intime, très personnel. On a peur de blesser la personne, de lui donner l’impression qu’on ne l’accepte pas. Elle pourrait se sentir rejetée ou humiliée. On préfère éviter ce collaborateur ou ne l’approcher qu’à distance, tourner la tête quand il nous approche, retenir discrètement notre respiration quand il nous parle, inspirer un minimum et expirer amplement, tenir la main subtilement devant notre nez, l’air de rien,… toutes des stratégies bien compliquées, peu efficaces, et qui risquent à terme de provoquer justement l’impression de rejet qu’on souhaitait éviter !
Quelques principes
Comme toujours, mieux vaut dire les choses. Il s’agira bien sûr d’enfiler nos gants de velours pour aborder le sujet et de suivre quelques principes, inspirés de la communication non violente : comme tout feedback correctif, le message sera donné entre quatre yeux, sans autres témoins qui mettraient la personne encore plus mal à l’aise ou créeraient un sentiment d’humiliation.
Dans ce genre de cas, il est préférable de commencer par une petite introduction comme : « Je souhaite te parler de quelque chose que je ne sais pas très bien comment aborder. Mais je veux t’en faire part parce que je pense que c’est important que tu le saches, comme cela te concerne ». On peut aussi rappeler à la personne ce qu’on apprécie chez elle, pour installer un climat de confiance et constructif : « J’apprécie beaucoup de travailler avec toi sur ce projet. Tu y apportes beaucoup de créativité et d’entrain. C’est ce qui me pousse à te parler de quelque chose qui, pour moi, devient un frein à cette chouette collaboration ».
Ensuite, mieux vaut donner le message rapidement et de façon concise, évitez de trop tourner autour du pot ou de ne faire que des allusions. Expliquez également votre ressenti face à la situation. Ici il sera très important de bien choisir les mots et d’utiliser une formulation en « je », comme : « je sens une forte odeur de transpiration près de toi et, comme je suis très sensible aux odeurs, cela me trouble », ou « j’ai du mal à rester concentrée quand je sens ton nouveau parfum ». Ces formulations sont bien moins agressives que « tu sens la transpiration » ou « ton parfum me dérange », qui mettraient directement votre interlocuteur sur la défensive.
Enfin, communiquez votre besoin et offrez à la personne l’occasion d’y réagir. Par exemple : « J’ai besoin de travailler en étant relax mais je n’y arrive pas. Comment pourrions-nous changer cela ? ». Ou bien : « Ce serait plus facile pour moi de continuer à collaborer avec toi si tu acceptais de porter un peu moins de ce parfum. Est-ce envisageable pour toi ? ».
Donner un feedback à la personne concernée, de façon bienveillante et constructive, c’est souvent lui faire un cadeau pour lequel elle sera reconnaissante et qui améliorera les relations de travail.