Si le « démon de midi » est l’expression classique qui désigne le regain d’intérêt affectif et sexuel qui caractérise chez certaines et certains le virage de la cinquantaine, le « démon de minuit » concerne, vous l’aurez compris, le regain de jeunesse qui peut réveiller les séniors qui ont dépassé plus ou moins largement l’âge de la retraite. Il n’y a aucune raison de penser qu’il s’agit d’un phénomène nouveau, on le retrouve d’ailleurs dans la littérature classique, mais tout porte à croire qu’il est plus fréquemment observé qu’auparavant pour plusieurs raisons.
Par Armand Lequeux, professeur émérite de sexologie à l’UCL
Non seulement nous vivons plus longtemps, mais c’est surtout l’espérance de vie en bonne santé qui s’est fortement accrue, ce qui peut nous faire dire que les vieux d’aujourd’hui sont plus nombreux et plus jeunes qu’autrefois ! Ensuite l’épanouissement affectif et sexuel est considéré comme un droit : celles et ceux qui ont l’audace et/ou l’opportunité d’en bénéficier ne sont plus stigmatisés comme pouvait l’être la génération précédente. Après un veuvage ou un divorce, il n’est pas rare que papy ou mamy retrouve une compagne ou un compagnon, le plus souvent pour un partage de vie à temps partiel orienté vers les loisirs, le plaisir d’être ensemble et, pourquoi ne pas le reconnaître, l’épanouissement sexuel. Les sites de rencontre pour séniors sont très nombreux et très actifs, même s’ils ne connaissent pas le même battage publicitaire que les sites sur lesquels les hommes riches peuvent acheter les services d’étudiantes en quête de ressources financières alternatives !
Les IST ou infections sexuellement transmissibles sont en recrudescence chez les séniors qui ne se sentent généralement pas concernés par les campagnes de prévention qui ciblent prioritairement les jeunes. Les aînés ont appris, en leur temps, à se protéger d’une grossesse non désirée, mais ils ne furent pas toujours concernés par le risque du SIDA. Exiger de son partenaire l’usage du préservatif paraît donc totalement anachronique pour de nombreuses personnes d’âge mûr chez qui ce dispositif est lié à la contraception qui ne les concerne évidemment plus. Il y a très peu de distributeurs de préservatifs dans les maisons de repos ! Cela fait sourire bien entendu, mais il convient de prendre au sérieux la revendication croissante d’une reconnaissance explicite et bienveillante du droit au libre exercice de la sexualité dans les établissements qui accueillent les séniors. Ces maisons de repos sont heureusement de plus en plus nombreuses à mettre cette question en chantier et à rédiger des chartes à ce propos avec la participation du personnel, des résidents et de leurs familles.
La sexualité des séniors, qu’ils soient en couple depuis peu ou depuis très longtemps, qu’il s’agisse d’un nouveau couple ou de vieux époux, a de nombreux atouts à faire valoir. À priori, il s’agit moins de performances que de rencontres, il est moins question de faire ses preuves que de privilégier le plaisir mutuel qui n’est d’ailleurs pas nécessairement synonyme d’orgasme systématique. La pénétration est une option plus qu’une obligation, même si la petite pilule rose vient souvent bien à point pour aider ces messieurs comme les lubrifiants et huiles stimulantes locales peuvent être bien utiles pour ces dames. Vive le slow sex pour celles et ceux qui acceptent de vivre la relative lenteur de leurs réactions physiologiques comme un avantage plutôt qu’un inconvénient. De très sérieuses statistiques montrent qu’une activité sexuelle poursuivie à un âge avancé est corrélée à un allongement de la durée de vie en bonne santé. Le lien causal n’est pas univoque : est-ce l’activité sexuelle qui est bonne pour la santé ou est-ce la bonne santé qui favorise l’activité sexuelle ? Quoi qu’il en soit, on ne peut que souhaiter à nos aînés de profiter longtemps et de la bonne santé et du plaisir de la rencontre sexuelle.
