Pouvons-nous encore pleurer nos morts?

La perte d’un être cher bouleverse notre existence. Ce choc nous fait ressentir que la vie peut nous reprendre à chaque instant ce qui nous tient le plus à cœur. Que reste–t-il de nous quand le destin semble nous avoir tout pris ? Il nous faut entamer le long chemin du deuil, quête sans issue et semée d’embûches. Ce parcours nous révèle à nous-mêmes, nous apprend qui nous sommes,  en tant qu’être humain.

Par Diane Drory, psychanalyste

Cette traversée psychique prend du temps, beaucoup de temps. Encore faut-il que nous-mêmes et notre entourage nous octroient ce temps.  Ainsi, quelle ne fut pas ma sidération en écoutant le récit suivant :

« Nous venons de perdre notre plus jeune fille (12 ans) dans un accident tragique. Le choc fut bien sûr terrifiant pour toute notre petite famille et nous avons suggéré à nos enfants une aide extérieure pour  les aider à surmonter l’épreuve. Ma fille aînée (23 ans), témoin de l’accident, fit appel à une psychologue. Elle s’y rend une fois par semaine. Lors de la 5e séance, comme lors des précédentes, elle pleura abondamment en évoquant le manque quotidien de la présence de sa petite sœur. Pour soudain s’entendre dire : « Je pense que vous faites un deuil pathologique. Être autant en larmes alors que votre sœur est morte depuis deux mois déjà, n’est pas normal. Vous faites un deuil pathologique. Vous devriez consulter un psychiatre pour qu’il vous prescrive des anti-dépresseurs… » Sidérée d’une telle prise de position, étant moi-même en mode de survie, je téléphonai à la psy pour lui demander sur quelles bases elle pensait qu’il fallait médiquer ma fille. Aimablement, elle me répondit avoir consulté le DMS 5 pour poser ce diagnostic. »

Le DMS 5 est la dernière mouture (2013) d’un manuel servant d’outil consultatif en matière de statistiques et diagnostics des troubles mentaux. Le contenu de ce « dictionnaire » est fort contesté, car nombre de textes ne sont pas scientifiquement fiables. Par ailleurs, l‘industrie pharmaceutique en a influencé le contenu… Il y est notamment recommandé de prescrire des anti-dépresseurs si un deuil perdure au delà de quelques mois.

Il est interpellant de voir un psy, habilité à écouter la souffrance humaine, être à ce point ignorant de la réalité de la douleur de la perte d’un être cher, pour voir dans l’épanchement de larmes un deuil pathologique ?

Notre époque a-t-elle à ce point perdu son bon sens ? Est-il normal d’accélérer le travail du deuil en déguisant, minimisant la mort  d’un être cher, vite fait bien fait,  afin de le mettre derrière soi ? Parce que la vie continue, que pleurer est une faiblesse et qu’il faut « faire » son deuil ?

Permettez que je m’insurge. La perte d’un proche est une blessure profonde, longue à guérir. Une épreuve qui nous change à jamais, une cicatrice qui laisse des traces jusqu’au jour de notre propre mort. Ce long chemin, marqué d’abord par la violence du choc, se poursuit fréquemment par une période d’hyperactivité, pour fuir le tsunami de souffrance. Cependant, peu à peu,  l’évidence de la perte s’impose. Obsédé par l’irrémédiable « Elle ne reviendra pas », on se retrouve face au vide, à la solitude, à la perte de sens de sa vie. Cette souffrance nécessite plus que jamais la  bienveillance de l’autre. Petit à petit, le temps fait son oeuvre et nous apprend à nous redéfinir par rapport au monde et par rapport au défunt.

Un jour, bien des années plus tard, l’évocation de la personne disparue nous fait esquisser un sourire venu supplanter les larmes. Le chemin de la cicatrisation est long, très long. Il demande du temps, beaucoup de larmes et n’a rien de pathologique…

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