Chroniqueur radio et humoriste sans filtre sur les scènes de stand-up, Guillermo Guiz utilise sa matière première la plus intime, y compris ses blessures et son questionnement métaphysique, pour dérouiller nos zygomatiques avec des vannes acides écrites à l’encre noire. L’effet cathartique est réel et le rire décapant.
Propos recueillis par Isabelle Blandiaux – Photos Emmanuel Laurent – Grooming Mathieu de Mayer avec Dior
Il a déjà eu plusieurs vies et, comme les chats, il retombe toujours sur ses pattes. Ancien espoir du foot anderlechtois, ancien journaliste, ancien manager de boîte de nuit mais toujours noctambule, Guy Verstraeten, alias Guillermo Guiz, canalise depuis 4 ans et demi son énergie bouillonnante par l’humour, « sorte de défense face à l’absurdité des choses ». Naturellement enclin à voir le verre (de vodka) à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, l’esprit sans cesse en action, il mouline la vie en quête de sens et creuse au plus profond de sa complexité pour nous bousculer et nous soulager par le rire. Une façon pour lui de métaboliser les difficultés de son histoire mais aussi de se singulariser. Dans son spectacle de stand-up Guillermo Guiz a un bon fond, ce bosseur à la plume acérée brosse de lui un portrait peu flatteur, toujours cash, parfois trash, tout en conservant la sympathie du public. Il y est beaucoup question de sexe, mais aussi d’alcool, de drogue, de préjugés, de filles, d’Anderlecht… Toujours sur le fil. Du grand art parfaitement maîtrisé par ce séducteur né.
En radio, après avoir servi le Café serré sur la Première cette année, il a rendu son tablier parce que « la politique, ça tourne en rond » et il n’a plus d’avis à donner. Il continuera par contre à partager sa Drôle d’humeur sur France Inter, dans La Bande originale de Nagui, où le ton est plus libre. Tout en construisant son 2e spectacle et tout en travaillant sur un projet pour la télé française, il va d’ailleurs créer un « laboratoire de l’humour où expérimenter à nouveau » devant un public, avec Fred Jannin, Laurence Bibot et Gilles Dal, le lundi soir à Bruxelles cet automne.
Alors, Guillermo Guiz, un bon fond ? Il est encore temps de se faire une opinion en Avignon cet été, au centre culturel d’Uccle les 13 et 14 septembre et à Paris dès la fin septembre.
Psychologies : Ce regard en biais sur le monde a-t-il toujours été présent chez vous ?
Guillermo Guiz : J’ai baigné dans un univers où l’humour était important. Quand j’étais petit, mon père me montrait les Monty Python’s. J’ai grandi en regardant Canal+ avec les Guignols de l’Info, Nulle Part Ailleurs, les Nuls, puis en suivant à la RTBF le Jeu des Dictionnaires, la Semaine Infernale, Philippe Geluck… J’ai toujours eu de l’humour, même si je n’ai jamais été le boute-en-train absolu. Je peux être la personne la plus effacée d’un groupe, je reste très timide quand il s’agit d’entrer dans une pièce avec des gens que je ne connais pas, mais pour peu que je me sente en confiance, je peux devenir drôle.
Se dévaloriser pour faire rire, cela a une fonction psychologique ?
G.G. : J’ai un rapport complexe avec moi-même, entre amour et haine. Souvent, quand je me déprécie en public, cela reflète le fond de ma pensée. Je pense être plus ou moins lucide sur ce que je suis. Le spectacle tourne autour de ça : Guillermo Guiz a un bon fond, c’est me demander, à 35 ans, si je suis vraiment le mec que je rêvais de devenir. Pas vraiment en fait. Je me déçois beaucoup comme personne et je m’en veux. J’essaye d’être quelqu’un de meilleur mais c’est difficile de progresser. Et puis, on rigolera toujours plus avec la « lose » qu’avec la « win ». Je vais plus raconter des histoires où il m’arrive des trucs sexuellement ridicules que les fois où j’ai ramené une fille fantastique chez moi. Enfin, quand on fait un humour incisif, pas forcément lisse, en étant parfois un peu dur avec les gens, on se doit d’être aussi dur avec soi-même.
Transformer vos blessures personnelles en vannes, cela vous aide à cicatriser les plaies ?
G.G. : Il y a beaucoup de choses que je raconte sur scène mais que j’aurais beaucoup de mal à raconter dans la vie. C’est cathartique. Par exemple, mon prénom, le sketch le plus emblématique. J’ai vraiment souffert de m’appeler Guy. Ce n’est pas anodin pour quelqu’un de timide qui n’est pas hyper bien dans sa peau. Les Guy ont en moyenne 74 ans, j’en ai 35. Quand j’abordais les filles et les garçons, c’était juste ridicule. Le fait d’en parler et d’en rire en spectacle, cela m’aide à accepter mon ‘Guy Verstraeten’, que j’ai caché sous ‘Guillermo Guiz’, mon nom de scène et avant ça mon pseudo. L’intérêt du côté autobiographique de mon spectacle est de m’aider à accepter certaines situations passées.
Monter sur scène, c’est dire : « regardez-moi », « je suis là », « j’existe » ?
G.G. : C’est prendre une place dans la société, oui. J’ai parfois eu l’impression d’être cet arbre qui tombe dans la forêt sans que personne ne l’entende. J’avais peut-être envie d’être connu pour partager mes goûts avec les gens, pour être entendu quand je le fais. Il y a un tas de raisons qui font qu’on veut prendre la lumière : un certain nombre d’insatisfactions et de douleurs. Puis un besoin d’avoir les regards sur soi pour arrêter de se poser trop de questions. C’est une démarche très complexe. Ce que j’aime maintenant, c’est que j’ai vraiment du plaisir à être sur scène, je savoure. Mais je me sens très mal à l’aise au moment des applaudissements ou quand on me fait des compliments. J’ai besoin de reconnaissance jusqu’à un certain seuil. Après le spectacle, je n’ai qu’une envie, c’est retrouver ma place, mes potes, aller boire un verre et sortir. J’aime bien mon côté loser, il y a un confort de vie là-dedans, des schémas que je connais. Le succès est déstabilisant.
Faire rire les autres, c’est avant tout les séduire ?
G.G. : Oui, sur scène, je suis dans une forme de séduction. Je parle au public comme je parlerais à une femme, avec une voix plus suave, une assurance et un regard différents.
Vous avez toujours été un séducteur ?
G.G. : Oui, je pense. La séduction est sensiblement l’un des seuls intérêts de ce passage sur Terre. À part la bonne bouffe, le bon vin et, je suppose, les enfants, il n’y a pas mille trucs à faire de plus chouette que d’être dans une dynamique de séduction avec quelqu’un. C’est un vrai moteur de vie. S’il n’y avait plus de femme, je ne ferais certainement pas de stand-up, je ne ferais d’ailleurs plus rien. Je mangerais jusqu’à mourir d’obésité. Si au fond de tout ce que tu peux faire dans ta vie, il n’y a pas à un moment l’idée qu’il y a une femme qui te valide dans le regard, cela ne sert à rien. Il n’y a rien qui vaut la peine d’être vraiment vécu. J’ai un rapport très dur avec la fin des choses et c’est la séduction qui me tient.
Votre enfance, vous en gardez in fine un goût de bonheur ou pas ?
G.G. : Oui complètement, j’ai été un enfant traumatisé mais pas malheureux. Je n’ai quasi pas de souvenirs de ma mère, hormis des flashes douloureux, et j’ai connu un certain nombre d’événements qu’un enfant ne devrait en théorie pas connaître. Mais j’ai cette chance d’avoir eu un père fantastique, qui a tout sacrifié pour moi et qui m’a donné les outils pour me développer. Père ou mère célibataire à temps plein, c’est un sacerdoce. J’ai d’autant plus de gratitude envers lui. Jusqu’à l’adolescence, il était ma seule référence, donc ma personnalité était imprégnée de la sienne. Puis j’ai développé mon sens critique et je me suis déconstruit puis reconstruit en opposition à lui, ce qui a donné un certain nombre de conflits. L’apaisement est venu après, quand j’ai pris mes distances. J’ai eu une enfance scandée par le foot, ma passion complète à l’époque. Je ne vivais quasi que pour ça, même si j’avais d’autres centres d’intérêt : je lisais beaucoup et j’avais des amis qui le sont toujours, pour la plupart.
Cela se passait comment à l’école ?
G.G. : J’étais bon élève mais je n’ai jamais été le premier de la classe. J’étais le farceur à qui les profs pardonnaient vite. J’étais un peu rebelle et je faisais des blagues, mais dans le fond j’étais un gars gentil et je travaillais quand il fallait. Un bon fond…
Vous rêviez de devenir footballeur professionnel ?
G.G. : Oui, parce que c’est le seul vrai talent naturel que j’ai. Plus que l’écriture où je dois plus bosser, où mes premières intuitions doivent sans cesse être retravaillées. Ma première intuition en foot, elle est souvent bonne. Je comprends très bien ce jeu, les trajectoires. Quand j’avais 14 ans, je m’imaginais devenir footballeur intellectuel : jouer au foot et être philosophe ou écrivain en même temps, quelque chose que personne n’a jamais fait. J’avais déjà envie de me singulariser, d’être atypique. Mais mon corps a lâché.
Qu’est-ce qui vous attire tant dans la nuit ?
G.G. : Il n’y a aucun moment de ma vie où je me sens mieux que la nuit, après 3 vodkas. La 4e vodka me permet de calmer mes angoisses et d’arrêter de « sur-penser » en boucle, de « sur-réfléchir », de pouvoir vivre les choses plus sereinement, de me détendre, me reposer. Au quotidien, je suis en permanence en train de m’interroger. Du coup, quand un copain m’a proposé de m’occuper d’une boîte avec lui, j’ai accepté, d’autant que j’étais célibataire et que je m’emmerdais comme journaliste. Pourquoi pas tenter un nouveau truc ? Mon père m’appelait « On-a-tout-essayé ». Il était désespéré de voir ce que je faisais. C’est marrant parce qu’il n’aurait jamais imaginé que je devienne humoriste (il est décédé en 2008, NdlR). Peut-être que maintenant il serait content, je ne sais pas.
Le questionnement sans fin, c’est le propre du questionnement métaphysique…
G.G. : Bien sûr. Pourquoi es-tu là ? Pourquoi fais-tu ça ? À quoi ça sert le temps qui passe ? Quel est le sens de tout ça ? Et cela ne s’arrange pas avec les années. « Vivre, c’est apprendre à mourir », mais j’ai un peu du mal à apprendre à mourir en ce moment. C’est compliqué. Je joue beaucoup et après le spectacle, j’ai envie de décompresser, de profiter encore un peu de ce qui me reste de jeunesse. En boîte, je ne suis pas le plus jeune, loin de là. Quand je me retrouve entouré de gamins de 20-25 ans, je me dis qu’il y a un petit côté pathétique. Mais bon, j’aime trop la nuit. J’angoisse à l’idée d’aller me coucher à 23 h. Je me dis que c’est trop triste. Ou alors c’est parce que je suis déprimé. Si je vais bien, je dors très peu. Comme je le dis dans le spectacle, quand tu es célibataire, la vie n’a aucun sens et quand tu es en couple, la vie n’a aucun intérêt. C’est exagéré parce que dans mes couples, j’ai été avec des filles merveilleuses qui avaient mille choses à apporter. Mais c’est dur de trouver le carburant pour avancer dans un couple quand on est comme moi perclus de questionnement métaphysique et terrorisé par la fin.
Vous avez pleinement confiance dans votre faculté de rebondir ?
G.G. : Je sais que j’ai le potentiel pour me réinventer. Et j’ai l’impression que l’humour, cela ne va pas durer. Les gens se lassent de plus en plus vite, il faut des nouvelles têtes tout le temps… Il n’est pas impossible que j’aie déjà vécu ce que j’avais de mieux à vivre dans ce secteur. Ce que je fais maintenant, c’est ce que j’ai fait de plus épanouissant, clairement. Mes angoisses, mes idées noires par rapport à la mort sont moins omniprésentes dans ma vie, j’arrive à mieux vivre avec moi-même.
À quand remonte cette angoisse de la mort ?
G.G. : J’étais déjà obsédé par la mort à 10-12 ans. Depuis lors, j’essaye d’agripper le temps qui passe mais c’est peine perdue. Il y a un côté tellement inéluctable et inexorable dans le temps qui passe : quoi que tu fasses, tu peux ironiser, vivre avec, l’accepter, cela ne changera rien. La mort gagnera toujours. C’est la seule chose sûre. Or il faut admettre que ce n’est pas le truc le plus chouette. Si au moins le seul truc sûr, c’était que tu allais coucher un jour avec la fille/le mec de tes rêves…
Vous êtes-vous déjà fait aider via une thérapie ?
G.G. : Ouais, pas mal de fois. Mais j’ai un problème avec les psys. J’ai besoin d’être bluffé intellectuellement, d’avoir l’impression que la personne en sait beaucoup plus sur la vie que moi. Donc, je considère souvent que les meilleurs psychologues sont les bouquins. Là je suis en train de lire Vernon Subutex de Virginie Despentes et j’y retrouve des choses que je pensais sans arriver à les verbaliser. Si je lis Philippe Roth, je vais me dire que le mec a 35 ans de plus que moi, qu’il y a réfléchi 35 ans de plus que moi et il arrive à des conclusions intéressantes. Des psys m’ont aidé avec des trucs concrets. Mais je pense que mon tempérament ne changera pas. Quand j’avais 15 ans, j’étais mélancolique, et je le serai toujours. Aujourd’hui, je vis moins dramatiquement la mélancolie. Mais je ne serai jamais le type le plus heureux de sa génération, c’est impossible.
Vous projetez-vous dans l’avenir ?
G.G. : Jamais, impossible. J’ai un mur devant moi, je ne me vois pas à 40 ou 45 ans. Je ne fais jamais de projet. Si des choses positives m’arrivent, je les prends, si des choses négatives m’arrivent, je les prends aussi. J’essaye de ne pas trop m’enthousiasmer pour les unes et de ne pas trop souffrir pour les autres. Et d’avancer. De toute façon, quoi qu’il advienne, dans 200 ans, cela n’aura aucune espèce d’importance. Cela n’a aucune importance. Une vie humaine est faite de beaucoup d’instants de frustration et de quelques petits instants de bonheur, qu’il faut essayer de maximiser. Être dans ma position aujourd’hui m’aide à ouvrir davantage la fenêtre des petits bonheurs, par rapport au moment où j’étais encore Guy Verstraeten, donc personne. Mais ce n’est pas pour ça que je suis dix fois plus heureux.
Est-ce que Paris est devenu votre nouveau port d’attache ?
G.G. : La saison prochaine, j’y joue les jeudis, vendredis et samedis au Point Virgule, donc je vais devoir prendre un appartement là-bas mais je n’ai pas envie de m’y installer. J’ai trop besoin de Bruxelles, où j’ai mes repères. Il y a tellement peu de choses qui me stabilisent. C’est dur de changer de vie quand on a 35 ans. Ici, j’ai construit des choses dont je suis assez content. J’ai des amis que j’adore et ce qui me reste de famille. À Paris, je perds un peu cet équilibre et je me retrouve en mode solitude. Mais je ne désespère pas d’arriver à convaincre mes amis de venir me rejoindre à Paris le plus souvent possible.
Guillermo Guiz a un bon fond : du 16 au 26/7 en Avignon, au Palace (lepalaceavignon.fr), les 13/9 et 14/9 au Centre Culturel d’Uccle (47 rue Rouge – 1180 Uccle : TTO : 02/510 0 510 – www.ttotheatre.be
– CCU : 02/374 6 484 – www.ccu.be) et dès la fin septembre au Point Virgule à Paris (www.lepointvirgule.com).
Dans le rétro
Guy Verstraeten est né le 23 novembre 1981. Il a été élevé par son père à Anderlecht, dans un quartier populaire. Il n’a quasi pas connu sa mère, qui a quitté le domicile familial quand il avait 3-4 ans et est décédée quand il avait 17 ans. Il s’est très tôt passionné pour le football et espérait en faire son métier quand, dans l’équipe espoir d’Anderlecht, il a dû y renoncer en raison de trop nombreuses et graves blessures aux muscles et aux articulations. Après ses études de sciences politiques, il part vivre un an en Espagne et travaille ensuite comme journaliste pour la presse écrite belge (Le Soir, Le Vif L’Express, Focus Vif…) et française (Foot Magazine, Le Monde Diplomatique…). Suite à une opportunité, il gère des boîtes de nuit (VIP ROOM et Gotha Club) pendant deux ans. L’aventure tourne court et il est sollicité pour faire des chroniques en radio (On n’est pas rentré, Entrez sans frapper, Matin Première, sur La Première et depuis la rentrée 2016, dans La Bande originale de Nagui, sur France Inter) puis en télé (69 Minutes Sans Chichi, La Tribune, Alex & Sigmund en remplacement d’Alex Vizorek) en même temps qu’il se lance dans le stand-up avec son spectacle Guillermo Guiz a un bon fond au Kings of Comedy Club à Bruxelles. Un spectacle qu’il joue aussi au Théâtre de la Toison d’Or à quelques reprises, et au Point Virgule, à Paris, à partir d’octobre 2017. Il s’est également produit de mars à juin dernier au Little TTO.