Hyménoplasties versus Nymphoplasties

Les deux interventions de chirurgie esthétique intime les plus répandues semblent à première vue relever de motivations totalement différentes, soutenues par des valeurs parfaitement opposées. L’une, l’hyménoplastie, serait le reliquat moyenâgeux de la soumission des femmes alors que l’autre, la nymphoplastie, serait l’étendard flamboyant de leur libération contemporaine. Rien n’est moins sûr cependant… De quoi s’agit-il ?

Par Armand Lequeux, professeur émérite  de sexologie à l’UCL.

L’hyménoplastie est une opération chirurgicale qui reconstitue avec soin une « barrière » à l’entrée du vagin afin de recréer une pseudo-virginité capable, la nuit des noces, de leurrer le plus futé des maris et de rendre son honneur perdu à la plus délurée des épousées. C’est un sujet sensible car, chez nous, il ne concerne pratiquement que les communautés issues de l’immigration et on connaît aussi bien les susceptibilités qui s’y développent que la stigmatisation dont elles sont si souvent victimes. Choc des cultures, conflit des valeurs ! D’une part, notre héritage humaniste occidental rejette violemment ce qui nous apparaît comme une réification de la femme. Celle-ci n’aurait donc de valeur que dûment « cachetée » par la preuve tangible qu’elle est une acquisition de première main sur le marché du mariage où l’homme, par contre, acquiert de la valeur par son expérience sexuelle antérieure ? Nous y voyons une intolérable manifestation de l’archaïque domination masculine, doublée de l’hypocrisie de tous les intervenants et d’un juteux marché pour les cliniques spécialisées dont les enseignes clignotent sur l’Internet ! D’autre part cependant, ne convient-il pas de nous décentrer par rapport à cet universalisme bienveillant que nous croyons bon d’exporter partout avec zèle au mépris des valeurs développées par d’autres cultures ? La fidélité, l’honneur, la déférence envers les traditions, la pudeur et la solidarité familiale sont-elles des notions moins valables que l’autonomie, la liberté individuelle ou la jouissance immédiate qui ne créent pas que du bonheur dans notre société qui rend depuis quelques années la nymphoplastie aussi désirable, voire incontournable, pour de plus en plus de nos contemporaines ? La nymphoplastie consiste à réduire le volume des petites lèvres vulvaires (les nymphes). Cette intervention chirurgicale fut longtemps réservée aux hypertrophies majeures provoquant de réels embarras, voire des douleurs, dans la vie intime et sexuelle, mais elle s’est imposée depuis quelques années comme une façon d’aligner le profil génital féminin sur le modèle de la vulve infantile où tout ce qui dépasse ne peut être que superflu voire « dégoûtant » comme l’expriment parfois celles qui ont intégré cette norme et qui réclament le droit de s’y conformer aux frais de la société puisque la Sécurité sociale intervient le plus souvent sans trop poser de questions. Même s’il s’agit a priori d’une opération bénigne, elle n’est pas dépourvue de complications immédiates (hémorragies, infections, douleurs) ou différées (troubles de la sensibilité sexuelle) et on peut s’étonner de la facilité avec laquelle certains chirurgiens acceptent de la pratiquer sur simple demande. On peut également s’interroger sur les éléments qui ont conduit de plus en plus de nos contemporaines à se soucier ainsi de leur esthétique vulvaire. La généralisation de l’épilation intime, la banalisation de la sexualité orale et de la pornographie peuvent sans doute être évoquées ainsi qu’une certaine idéalisation du corps éternellement jeune, voire infantile. Alors, s’agit-il d’une expression de la libération des femmes (mon corps est à moi) ou d’une soumission volontaire au diktat d’une société qui impose à celles-ci de paraître ? Paraître toujours et partout, jusque dans leur intimité, au risque de leur faire oublier d’être elles-mêmes tout simplement. Paraître aux yeux des hommes, vierges pour les unes et conformes pour les autres : nous pourrions sans doute renvoyer dos à dos l’hyménoplastie et la nymphoplastie…

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