« Le surprésentéisme : quand l’investissement devient dommageable »

Si l’absentéisme est un indicateur de stress et de mal-être au travail, le surprésentéisme l’est tout autant. Il est cependant bien moins reconnu et étudié. En effet, même s’il est probablement aussi vieux que le travail lui-même, la prise de conscience de ce phénomène et de ses effets est très récente. Quelles en sont ses principales causes et comment faire pour le détecter et le prévenir ? Voici quelques éléments de réponses…

Par Virginie Di Giamberardino – Conseillère en Prévention pour les aspects psychosociaux chez Spmt Arista, Service Externe de Prévention et de Protection au Travail- photos Mathilde Troussard – Modèles : Bruno Saial Mexia Da Silva et Marijke De Bruyne – Production réalisée chez Smpt Arista.

Le surprésentéisme est communément défini comme étant le comportement d’un travailleur qui, malgré des problèmes de santé physique ou psychologique qui nécessiteraient de s’absenter du travail, persiste à s’y présenter. Le fait de venir travailler en toutes circonstances a pourtant des effets à retardement sur la productivité et la qualité de travail : risques de dépressions, de burn out et de développement de maladies cardiaques, erreurs d’inattention plus fréquentes et dégradation des relations au sein des équipes.

Quelles sont les causes principales du surprésentéisme ?

On peut légitimement penser que chacun a conscience du fait que l’absence de repos risque d’aggraver son état de santé. Comme le dit le proverbe : « qui veut voyager loin ménage sa monture ». Dès lors, qu’est-ce qui pousse certains à travailler en dépit de leur pathologie, quitte à repousser une opération médicale ? Qu’est-ce qui les conduit à risquer leur santé sur l’autel du court terme ? Qui sont ces travailleurs estimant qu’ils ne peuvent pas se permettre de s’arrêter ?

On distingue généralement 2 types de surprésentéisme : l’involontaire et le volontaire. Dans le premier cas, qui est celui qui est le plus répandu et qui dure le plus longtemps (plus de 10 jours par an), le travailleur juge qu’il est impossible de s’absenter et/ou craint une perte financière importante.
C’est le cas de Jack, ouvrier spécialisé dans l’industrie pharmaceutique dont le 2e CDD arrive à terme dans quelques semaines : « Mon chef m’a déjà annoncé que je devrais recevoir prochainement une offre pour un CDI. Enfin, je l’espère. Cela fait un an que je m’investis à 150% pour cette entreprise. Je suis déjà venu travailler malade, fiévreux et affaibli. En effet, je sais que l’absentéisme sera un critère essentiel dans l’octroi ou non d’un CDI ».
Dans le second cas, le travailleur choisit volontairement, malgré ses difficultés, de rester au travail du fait de l’intérêt qu’il trouve à son travail, de son sens aigu de la conscience professionnelle ou encore de la volonté de ne pas porter préjudice à son entourage. Bernadette, directrice des ressources humaines de 52 ans, à qui une tumeur maligne a été découverte il y a environ deux ans, raconte : «  Étant donné mes responsabilités, contre l’avis des médecins spécialistes qui me suivaient, j’ai continué à travailler durant mon traitement de radiothérapie. Durant près de deux mois, je me suis rendue tous les matins à 6h à l’hôpital pour subir mes rayons et à 8h j’étais au bureau. Au-delà de mon incapacité de 2 semaines suite à mon opération pour l’ablation de ma tumeur, je ne me suis pas absentée un seul jour. Je voulais être présente pour les membres de mon équipe. Je voulais leur montrer que je ne les laissais pas tomber, même dans l’adversité. Je n’ai jamais eu la reconnaissance escomptée et 6 mois plus tard, je m’écroulais. J’étais arrêtée pendant trois mois pour épuisement professionnel. Dans les deux cas, volontaire ou involontaire, le surprésentéisme est généralement causé par l’un des ou les facteur(s) suivants :

Des problèmes de santé  (mentale, dans la plupart des cas) importants et/ou récurrents
La crainte d’une perte de salaire
La crainte de perdre son emploi ou de voir sa carrière « stagner »
L’influence de la conjoncture économique et de la précarité
de l’emploi
Le sentiment d’être irremplaçable
La charge de travail importante et la pression qui en est ressentie
La pression sociale et la crainte de la stigmatisation
L’anticipation de la difficultéde revenir au travail.

Comment prévenir le surprésentéisme ? De la réactivité à la proactivité

Les entreprises ont tout intérêt à ne pas ignorer les pratiques de leurs employés en terme de surprésentéisme, non seulement en raison des coûts que ce comportement génère, mais également en raison de leur obligation de préserver la santé physique et mentale de leurs employés.

Une première étape pour les employeurs consiste à identifier l’ampleur du surprésentéisme chez leurs collaborateurs et d’en analyser les causes. Plusieurs intervenants peuvent être sollicités pour aider à identifier les signaux avertisseurs : les médecins du travail, les supérieurs hiérarchiques directs et les conseillers en prévention pour les aspects psychosociaux.

« Des comportements caractéristiques peuvent indiquer qu’un travailleur va au-delà de ses capacités, détaille Noëmi Panizieri, manager du département psychosocial chez Spmt Arista. Outre des faiblesses de santé, comme par exemple une grande fatigue, des troubles du sommeil, une toux persistante, une addiction médicamenteuse… la personne peut manifester des changements dans ses comportements relationnels : elle se montrera plus irritable, plus instable, se mettra en retrait et/ou fera l’objet d’une perte de confiance en elle. Son fonctionnement professionnel sera également atteint : attention donc aux baisses de productivité, aux diminutions de la concentration, à la perte partielle de la qualité du travail, ce qui peut mener à des extrémités comme la commission d’erreurs ou le non-respect des échéances. » Ajoutons à tout cela que les collaborateurs victimes de surprésentéisme ont le plus souvent un taux d’absentéisme particulièrement bas et sont généralement peu enclins à prendre des congés. Par contre, ils se montreront plus instables dans le respect des horaires de travail (retards et variations fréquents).

La démarche réactive : instaurer de la communication et trouver des solutions

Une fois le comportement potentiellement « surprésentéiste » détecté, il est essentiel que s’installe une phase de communication tant des managers envers leurs travailleurs qu’inversément. Des outils existent pour permettre un dialogue harmonieux et constructif sur ce sujet.

Au cours de sa longue carrière de manager, Clément, 58 ans, a eu l’occasion d’aborder la problématique du surprésentéisme avec plusieurs collaborateurs : « Généralement, j’utilise les principes de la communication non violente pour évoquer des sujets délicats sans heurter mes collaborateurs surprésents. J’explique d’abord à la personne concernée les faits que j’ai constatés ou que les collègues ont pu observer (par exemple: oublis, erreurs d’inattention, etc.). Je lui exprime ensuite mon ressenti (je suis préoccupé, inquiet, perplexe… devant ton comportement). Je tente enfin d’établir le lien entre les faits observés et les conditions de travail : mon collaborateur vit-il des insatisfactions ou des difficultés au travail ? Rencontre-t-il des tensions avec d’autres membres de l’équipe ? A-t-il l’impression de disposer de tous les moyens pour faire  correctement son travail ? Quels sont ses besoins ? Est- il déjà suivi médicalement  au sein de l’entreprise et en dehors ? Comment peut- on l’aider ? Etc. Il est essentiel de veiller à poser ces questions dans le respect de la vie privée du travailleur».

La démarche proactive : sensibiliser et instaurer une politique de santé au travail

La sensibilisation au surprésentéisme au travail est une action d’autant plus indispensable que les effets de ce phénomène sont encore méconnus du grand public. Il revient donc aux employeurs et aux pouvoirs publics de rappeler quelques principes de base, dont celui, simple, de la nécessité de s’absenter en cas de maladie. Il est aussi de leur responsabilité d’indiquer aux travailleurs les dangers du surprésentéisme et, plus largement, de les aider à mieux prendre en charge leur santé.

Cette sensibilisation est essentielle pour atténuer la pression sociale qui pèse sur les travailleurs qui osent s’absenter. C’est l’occasion également de changer les mentalités et le regard porté sur les absents : ils n’ont pas toujours tort !

Afin que la sensibilisation des acteurs ne reste pas une action sans lendemain, les employeurs doivent s’impliquer et investir dans une véritable politique en faveur de la santé au travail. En effet, il ne suffit pas de suggérer aux collaborateurs de rester à domicile lorsqu’ils sont malades, il faut également les aider à éviter qu’ils le soient. Il importe dès lors que les entreprises puissent interroger leurs politiques de ressources humaines et managériales : favorisent- elles, oui ou non, la santé du personnel ? Leurs actions pour réduire l’absentéisme s’attaquent-elles, par exemple, directement aux racines du problème ou bien uniquement aux symptômes ?

Le travailleur peut, lui aussi, contribuer et participer à la politique de la santé instaurée au sein de son entreprise. Cependant, il n’est pas toujours évident de s’adresser à son supérieur direct pour discuter avec lui de difficultés professionnelles. Évoquer la question avec le médecin du travail ou un conseiller en prévention pour les aspects psychosociaux peut être un moyen de leur faire jouer ce rôle d’intermédiaire auprès de la direction et des responsables des ressources humaines.

Chacun peut également se questionner sur sa propre contribution à la pression sociale qui pousse autrui au surprésentéisme. À travers notre comportement, n’incitons-nous pas nous-mêmes cette attitude chez nos collègues ?

Enfin, chacun est probablement le mieux placé pour prendre la bonne décision pour lui-même quant à sa présence ou son absence au travail, au cas par cas. Pour l’un, travailler en réduisant ses horaires et en aménageant son activité sera peut-être la meilleure solution ; pour l’autre, ce sera de prendre trois jours d’arrêt.

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