Quand on aime, on ne compte pas

Quand se gâte le climat et menace l’orage, il n’est pas rare de voir les protagonistes d’un couple sortir leurs calculettes et leurs tableaux comparatifs.

Par Armand Lequeux

«Qui c’est qui peut se permettre chaque semaine une soirée d’entrainement avec ses copains quand je garde les enfants ? Et le samedi après-midi ? Qui a droit à son foot quand je me tape les courses ?»

«Ah, oui ? Alors, dis-moi : qui m’impose de passer tous les dimanches après-midi chez tes parents ?»

«Comment peux-tu dire cela alors qu’ils nous aident financièrement ?»

«Ils ne font que compenser les revenus minables de leur fille !»

«C’est incroyable ! J’ai sacrifié ma carrière pour que tu puisses épanouir la tienne et tu oses…»

En s’enfonçant plus avant dans cette logique comptable, ce couple risque de se passer en boucle un remake pourri de son histoire dans lequel chacun mesure à l’aune de son égocentrisme le déficit économique de son investissement.  Attention couple en danger. L’infernale spirale de la relation marchande risque fort de le détruire à moins qu’il n’ait la force et le courage de revenir à ses fondamentaux, à la justification première de son existence. Ces deux pugilistes seraient bien inspirés de profiter d’une accalmie pour se poser la question du pourquoi de leur amour.

Et si nous n’attendions pas d’être en conflit pour nous poser la question ? En fait, pourquoi je t’aime ?  Il y a, je crois, deux types de réponses. Je peux dresser une liste de tes qualités et de tout ce que tu m’apportes. Voici ce qui justifie mon amour pour toi…à partir de mon point de vue, le mien tout à moi. Aussi beaux et sympathiques que puissent être mes arguments, je suis bel et bien retombé dans l’amour comptable ! Méfie-toi, en effet : sache que je suis le gestionnaire et le seul juge de la liste des raisons pour lesquelles je t’aime. La somme de tes insuffisances pourrait dépasser un jour celle de tes avantages. Tu as donc intérêt à me mériter ! C’est cela l’amour ? L’autre mode de réponse privilégie la gratuité et considère qu’il n’y a aucune raison de t’aimer à part celle que Montaigne a rendue célèbre à propos de la Boétie « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Je ne t’aime pas parce que je découvre tes qualités et que je les apprécie, mais c’est parce que je t’aime que je les découvre et les apprécie chaque jour. Renversement de perspective : un autre monde s’ouvre. L’amour est premier et ne se justifie pas.

Tout ceci parait si simple en théorie : il suffirait donc de choisir la bonne option, de tourner le dos à l’autoroute du donnant-donnant et de l’amour marchand pour suivre le sentier bucolique de la gratuité. Mais quelle est ma garantie ? Je pourrais donc me retrouver pigeon, alors que tout le discours ambiant nous enjoint d’éviter à tout prix cette éventualité ? Oui, il y a un risque, il est aussi évident que nécessaire et c’est bien lui qui donne à la relation amoureuse un goût à nul autre pareil. Dans un monde formaté qui nous enjoint d’être prudents et de ne sortir que couverts et vaccinés, il s’agit peut-être d’une des dernières aventures qui vaille la peine d’être vécue. L’adage populaire à raison : quand on aime, on ne compte pas.

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Quand se gâte le climat et menace l’orage, il n’est pas rare de voir les protagonistes d’un couple sortir leurs calculettes et leurs tableaux comparatifs. …