Se faire entendre, tel est le sujet du dossier de ce mois de rentrée. Vaste programme s’il en est car, malgré la multitude d’outils dont nous disposons, le nombre croissant de réseaux auxquels nous sommes affiliés, la vague des formations en coaching, en CNV, en analyse transactionnelle, … peu d’entre nous éprouvent le sentiment d’être vraiment écoutés ou entendus. La diversité des acceptions du mot entendre reflète bien la complexité des situations de communication et le type de relation qu’elles engendrent. De la position autoritaire induite dans l’injonction « J’entends qu’on m’obéisse ou j’entends que mes enfants suivent le même chemin que moi » à l’attitude d’écoute suggérée par « Il faut entendre les désirs de ses enfants », le mot évoque des modes de communication bien différents. Dans bien des cas, ‘entendre’ sous-entend assertivité et prise de pouvoir. « Entendre raison », c’est accepter de se ranger à la raison de l’autre. « Je n’entends pas changer l’ordre des choses » renvoie au pouvoir que j’exerce tout comme l’expression « Faites comme vous l’entendez ». Intendere signifiant en latin tendre vers, cette étymologie a ouvert un sens plus restrictif en termes de relation, qui réduit le mot entendre à l’intention que j’ai sur l’autre : j’entends que mon enfant suive mes schémas éducatifs. Cette acception favorise une attitude centrée sur le désir de convaincre et n’attend qu’une réponse favorable, comme l’exprime la maxime: « Que le ciel vous entende ! » Ou bien elle prône une attitude fondée sur la perception intelligente que j’accorde à ma parole ou à celle de mon interlocuteur: « J’entends bien que vous n’êtes pas responsable de cette erreur », « Qu’entendez-vous par là ? ». Privilégier cette définition, c’est ignorer que ‘entendre’, c’est aussi porter mon attention sur l’autre. ‘Entendre’, c’est me mettre en empathie avec lui, avec ce qu’il ressent. C’est entendre ce qu’il est, par l’écoute et le regard. Faut-il nécessairement y ajouter le pronom ‘se’ pour que ce sens émerge? Ne peut-on de prime abord accepter qu’un mot peut s’entendre de différentes façons? Prendre conscience des différents sens que l’on peut conférer au mot entendre, c’est prendre conscience des valeurs qui nous fondent et que nous désirons mettre en avant. C’est choisir entre un modèle qui veut se faire entendre en favorisant un système d’éducation coercitif, où il faut rester dans les rangs, et dans lequel la singularité de chacun n’est pas prioritaire, et un système qui favorise l’épanouissement des enfants, les laisse apprendre à leur rythme et fait la part belle à la créativité et à l’expression artistique.
Rebelle à toute forme d’autorité abusive, je n’ai cessé durant ma prime enfance d’être brimée par des enseignants désireux d’asseoir leur pouvoir et de neutraliser toute personnalité non conforme à leurs désirs. J’ai connu les cagibis de punition et, plus tard, les ‘retenues’ à répétition parce que je n’acceptais pas de me conformer à des règlements absurdes ou parce que j’exprimais haut et fort ce que je pensais. Seuls quelques professeurs ont illuminé ma scolarité tels Christiane Gustin à l’Institut Notre-Dame de Bastogne qui m’a ouverte à la dynamique de groupe et invitée à m’exprimer par la poésie ou l’écriture et Louis Lejeune, professeur d’histoire pionnier d’un enseignement transversal qui faisait se rencontrer tous les domaines d’apprentissage. C’est sur leurs traces et pour que mes trois filles puissent s’épanouir pleinement, que je les ai inscrites, avec le soutien de leur père, à l’école Hamaide d’obédience decrolyenne. Elles y ont appris de manière autonome dans des classes où le plaisir d’apprendre prime sur les résultats obtenus. Une approche éducative qui a porté ses fruits puisqu’elles ont réussi leur parcours scolaire et sont aujourd’hui trois jeunes femmes bien dans leur peau et épanouies. Freinet, Decroly, Montessori, Steiner… ces pédagogies, comme vous le lirez dans ce numéro, suscitent de plus en plus d’engouement. Elles séduisent des parents qui cherchent une alternative au système traditionnel. Le seul hic, c’est que ces écoles demandent un minerval annuel souvent conséquent, avec le risque d’y retrouver peu de mixité sociale. Alors, sommes-nous acculés à choisir ? À quand une pédagogie ouverte pour toutes et tous ? À quand un enseignement qui allie savoir-faire et savoir-être et qui prête l’oreille au besoin des enfants d’être entendus et de révéler leur potentiel ? C’est le socle de la confiance en soi, valeur vitale pour se construire et progresser.
À bon entendeur, salut