Les pulsions, les besoins, le désir naissent d’eux-mêmes au sein de notre corporéité individuelle. Par contre, la morale, l’éthique, les codes sociaux, la solidarité sont affaires de transmission. Vivre en humain est avoir à humaniser la vie biologique. Un des outils y contribuant est le langage.
Par Diane Drory, psychologue et psychanalyste
« La Belgique est en déliquescence accélérée », clament certains médias de par le monde. L’ambiance qui a animé notre pays ces derniers mois nous interpelle, interpelle nos ados, nos enfants. Et si nous consacrions l’espace de vacance qu’offrent les mois de juillet et août pour transmettre en famille les valeurs qui nous habitent ?
De nos jours, sans transmission, la primauté risque d’être donnée à un présent oublieux d’une vision à long terme, glorifiant ainsi une société humaine ne se définissant que par la seule immédiateté de ses savoirs, par l’instantanéité de ses capacités et par le cliquetis de ses beautés artificielles. Voilà qui ferait de la vie un parcours de superficialité programmée…Là où le partage de nos échecs, de nos réussites, de nos failles, de nos valeurs, en un mot de notre mémoire, laissera une trace sur l’itinéraire incertain des générations suivantes.
Que penser des débordements de violence contre les policiers ? De la rivalité ou, pire, du dénigrement mutuel entre écoles et parents ? Que penser du fait qu’en un an, les médecins contrôleurs aient dû renvoyer à leur poste plus de 21000 personnes dont l’absence pour raison médicale était illégale ? Que penser du constat que l’individu ait tant de mal à céder un bout de son confort au profit de certains plus mal lotis que lui ? La Belgique est-elle vraiment une communauté d’irresponsables ?
Ce qui nous humanise est réfléchir ensemble à ce qui avilit. C’est parler, échanger, débattre d’éthique et de responsabilité. C’est ériger, énoncer les lois symboliques nécessaires à la croissance humaine. C’est ne pas nous endormir en vivant nos fictions comme des réalités. Il y a de quoi frémir devant le règne de l’aveuglement du pouvoir et de l’ordre perverti. À chacun de nous de prendre conscience de nos aveuglements, d’énoncer notre refus viscéral des égarements moraux ou éthiques, d’abandonner nos laisser-faire plus ou moins complices et de nous insurger contre les excès de pouvoir.
Les échanges générationnels sont semblables à un tricot qui réchauffe et donne vie. Lorsque les mots, les rites et les mythes font défaut dans le tissu familial, un trou se forme, et les familles trouées créent un vide symbolique dans le cœur de leurs descendants… Il est vrai que ce qui se transmet n’est pas prévisible car les effets de la transmission sont semblables à ces fleurs qui éclosent ailleurs, plus tard ou plus difficilement que les plantes mères. Qu’importe, pour lutter contre l’ignorance et l’errance en tant qu’adulte responsable, prenons jour après jour l’initiative d’une transmission au sein de nos familles. Semons, semons à tour de bras, des graines d’humanisation dans le cœur des enfants.
Et par-delà les mots, profitons des vacances pour transmettre le luxe de la simplicité, le sens de la joie de vivre et de la fête !
Diane Drory, psychologue et psychanalyste. Spécialiste des troubles de la petite enfance. Dernier livre : Au secours, je manque de manque ! Aimer n’est pas tout offrir (Éditions de Boeck).