Il a constamment peur de sortir en rue, de prendre le bus, d’aller au cinéma, fait des cauchemars la nuit, veut dormir avec nous,… Je lui ai pourtant expliqué les choses le plus posément possible en rediscutant ce qu’il avait entendu ou vu à l’école. Qu’aurais-je mal fait pour qu’il réagisse ainsi ?
Aurélie, 36 ans
Chère Aurélie, pourquoi donc reprendre la culpabilité à votre compte ? Votre fils vit des choses difficiles, il grandit dans un monde chahuté, doit faire face à ce qui se passe à l’extérieur de lui, mais aussi à ce qui se passe en lui, et l’ensemble, par moments, amène bien entendu certains tiraillements. Un attentat, une explosion, un drame, angoisse les enfants comme les parents, amène sur le tapis la question de la violence, de la rage, de la mort. L’événement du 22 mars et ceux qui l’ont précédé réveillent aussi les inquiétudes universelles concernant la vie et la mort de ceux que l’on aime, l’incertitude à ce propos, et notre condition humaine d’êtres mortels. Une évidence ? Peut-être, que nous tentons cependant d’oublier et que des événements dramatiques peuvent péniblement rappeler… Il y a des raisons d’avoir peur, tout de même, même s’il importe de continuer à vivre, il serait aussi fou de ne pas réagir à un événement aussi extrême. Par ailleurs, une telle catastrophe éveille également les explosifs contenus dans les cœurs des enfants et des petits garçons. Si cela explose, si la sécurité ne suffit pas, comment la société fera-t-elle avec les explosifs qu’il a, lui, dans l’estomac, avec son agressivité contenue, mais pas toujours, avec ses envies de meurtres comme en ont tous les enfants ? Le cataclysme n’a pas été empêché, malgré toutes les mesures prises, il a eu lieu. L’inévitable « manque » du système qui n’a pu empêcher que quelque chose comme cela arrive, résonne chez l’enfant comme une défaillance des rênes qu’il tente, lui, de mettre à son cheval intérieur encore peuplé à son âge de pulsions terroristes… Les rênes se fatiguent, la bride s’élime, s’érode, et le cheval, pour peu qu’il s’agisse d’un étalon encore un peu sauvage, peut devenir dangereux. C’est lui que l’enfant craint, son monde intérieur, lui aussi bourré d’explosifs par moment, sur lequel, l’actualité vient verser beaucoup d’huile en ces temps-ci. Vous n’avez rien fait de mal, Aurélie, mais vous ne pouvez lui éviter ni ces questions humaines et universelles, ni le nécessaire travail ardu de prendre le licol de son cheval intérieur afin de l’orienter vers ce qui lui semble juste et bien.