Notre société a érigé la performance en culte, l’épanouissement de soi en devoir, la beauté en dictature et la réussite amoureuse et familiale en diktat. Il est donc plus que difficile d’accepter nos imperfections, nos échecs et tous les imprévus que la vie nous réserve. C’est pourtant le thème du dossier de ce mois : s’accepter vraiment. Pour la plupart d’entre nous, la difficulté majeure vient de notre dépendance au jugement des autres.
Par Christiane Thiry
Nous nous construisons grâce à l’image positive que les autres nous renvoient de nous. Ou nous nous détruisons, faute de regard bienveillant, blessés sinon stigmatisés par un manque de reconnaissance de nos qualités singulières et de nos ressources. L’acceptation de soi est intrinsèquement liée à la peur du regard des autres, alimentée ou non dès l’enfance par le type de regard que nos parents ont posé sur nous: fuyant, distant, humiliant, dénigrant ou chaleureux, doux, motivant et accompagnant.
La bonne nouvelle, c’est que rien n’est irréversible. Nous pouvons cesser de nous identifier à nos blessures, aux étiquettes posées sur nous ou à nos pensées négatives. Même si nous ne pouvons modifier les faits que nous avons vécus et ceux que nous vivons, nous pouvons changer la perception que nous en avons. Comment ? En observant ce que nous réclamons des autres. Personnellement, je réclame de mes proches force de caractère, perfectionnisme, dynamisme, opiniâtreté et autonomie. J’ai reçu une éducation dont les leitmotivs étaient : sois forte, sois parfaite, sois active et ne dépends de personne. J’ai intériorisé ces consignes au point de devenir mon propre bourreau : exigeante, incapable de me déposer et d’accepter mes faiblesses. De première de classe en primaires à la fonction de rédactrice en chef, j’ai toujours voulu occuper le peloton de tête. Mais pendant tout ce temps, j’ai masqué ma sensibilité sous un semblant d’autorité et suis restée dans le contrôle pour correspondre à l’idéal de moi que je me fixais et que je croyais que l’on attendait de moi. Au fil des ans, j’ai appris, pas à pas, à exprimer mes émotions via un long travail personnel, individuel ou en groupe. J’y ai été confrontée à mes croyances et j’ai surtout constaté que les autres vivent les mêmes doutes, les mêmes peurs, les mêmes détresses. Cela m’a rassurée et humanisée. C’est une tâche constante que de nous regarder chaque matin avec douceur et bienveillance, de ne pas nous juger ou nous jauger.
Pour les femmes, le défi est double. En théorie, notre réussite professionnelle, tout comme celle des hommes, ne tient qu’à notre intelligence, nos compétences et notre volonté mais publicités et télévisions nous assènent en permanence que nous dépendons de notre apparence physique. Nous devons sortir d’une logique concurrentielle qui vise à faire de nous des hommes comme les autres et d’une logique mercantiliste qui nous maintient dans un statut d’objets regardés sous toutes les coutures. Et le pire, c’est que ces logiques, nous les faisons nôtres, nous astreignant de notre propre gré à être performantes au boulot comme à la maison, belles comme des images, désirables et sans rides. Or, derrière tous les masques que nous portons, en chacune de nous, il y a une femme réelle, singulière, avec une vie, des pensées, des émotions. Plutôt que d’observer et de tenter de corriger ce que nous percevons comme des défauts ou des failles, nous pouvons changer de lunettes et nous regarder avec humanité et avec amour. Les gens nous aiment avec nos faiblesses, nos sautes d’humeur -et Dieu sait si je peux en avoir !- et nous les aimons aussi malgré leurs défauts.
Hommes ou femmes, nous pouvons nous demander ce qui nous fait vibrer et le faire vivre. Nous pouvons incarner notre vie, faire face comme nous le pouvons aux imprévus et aux aléas qu’elle sème sur notre route. Nous pouvons arrêter de nous regarder pour aller à la rencontre des autres, reconnaître qu’ils contribuent à notre réussite et à notre bonheur, les laisser nous rendre meilleurs.
Nous pouvons être telles et tels que nous sommes.