« Comment vivre après un événement traumatisant ? »

La Belgique a connu une journée d’horreur en mars dernier. Ce qui était tant redouté est arrivé, fauchant des vies, en mutilant d’autres, en choquant d’innombrables. Ici et ailleurs. Quelques semaines après ces attentats, on peut véritablement parler d’un traumatisme sociétal d’autant plus aigu qu’il n’est pas le fait d’un accident ou d’une catastrophe naturelle mais bien d’actes volontaires d’une rare violence interpersonnelle. Quels sont les symptômes laissés par de tels événements ? Comment les soigner ? Comment soutenir les proches et les collègues qui les ont vécus ?

Par Yves Ghinet, psychologue consultant pour Spmt Arista, Service Externe de Prévention et de Protection au Travail – photos Mathilde Troussard – modèles  Deborah Flusin et Xavier Verhaegen

Aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les victimes directes, celles qui se trouvaient sur les lieux des attentats, qui sont encore en proie à des souffrances physiques et psychiques, mais bien la société dans son ensemble. L’ampleur inhabituelle de ces événements dramatiques multiplie le nombre de victimes indirectes, généralement limité à la famille et aux amis des personnes impliquées. Parmi ces victimes indirectes, on retrouve évidemment les nombreuses personnes qui ont été bloquées en entreprise le mardi 22 mars, celles qui ont été évacuées, ont eu des difficultés à rentrer chez elles ou pour aller chercher leurs enfants. Mais on retrouve également toutes celles et tous ceux que le battage médiatique qui a suivi a affectés, alors même qu’ils n’ont pas été impliqués dans le chaos de cette tragique journée.

Les traumatismes issus de violences interpersonnelles ont ceci de particulier qu’ils s’attaquent aux liens entre les individus. Méfiances et soupçons s’installent. Beaucoup évitent les lieux publics. Les déplacements en transports en communs sont redoutés. On constate le développement de nombreux amalgames, y compris sur le lieu du travail où des collègues jusqu’ici appréciés sont désormais l’objet de méfiance voire de rejet sur la base de leur appartenance culturelle. Aux symptômes habituels du traumatisme s’ajoute donc une détérioration des relations sociales nuisible au fonctionnement de la société dans son ensemble.

Stress, trauma, traumatisme et stress post-traumatique

Face à un événement potentiellement traumatisant, l’être humain peut développer différentes réactions, qui divergent en fonction de la nature de l’événement, du degré de proximité avec celui-ci, mais aussi de la personnalité et du vécu de la victime.
La réaction la plus évidente et la plus connue, est évidemment celle du stress, décrit comme une réaction physiologique standard d’alarme et de défense de l’organisme face à l’agression. Pour le commun des mortels, une situation est effectivement stressante seulement si elle est perçue comme telle. Les individus soumis à un stress plus ou moins aigu vont mettre en place des stratégies d’adaptation (cognitives ou comportementales) pour y faire face.
On décrit ainsi très souvent le stress en termes positifs ou négatifs bien qu’aujourd’hui, la tendance soit de réserver le mot « stress » aux aspects négatifs et de remplacer la notion de « stress positif » par les termes plus appropriés de « mobilisation » ou « motivation ».1
Le  « trauma » fait directement écho à l’approche psychanalytique initiée par Sigmund  Freud. Il désigne une blessure avec effraction alors que « traumatisme » est réservé aux conséquences sur l’ensemble de l’organisme.
Le traumatisme réalise une effraction psychique irrémédiable. Il expose la victime à l’apparition d’un syndrome de répétition traumatique : un événement initial est, dans l’après-coup, remanié et réinscrit dans la vie de la personne à la lumière du présent. La personne vit dans un état d’alerte permanent face à un danger intérieur de l’ordre de l’horreur qui se répète de manière intrusive et inlassable dans les cauchemars et les réminiscences. « En arrivant à l’atelier, j’ai découvert mon collègue direct, Marc, qui s’était pendu, raconte Paul. Depuis, je suis hanté par l’image de son visage violacé. À n’importe quel moment, de jour comme de nuit, cette image s’impose à mon esprit et provoque le même effroi que le jour de la découverte du corps. La situation est encore plus pénible la nuit. » Paul n’ose plus éteindre la lumière et il repousse sans cesse l’heure du coucher de crainte d’encore se réveiller angoissé et terrifié. Pire encore : au lieu de diminuer, ces flashbacks se déclenchent à présent à la moindre sirène lui rappelant l’arrivée des secours sur le lieu du drame. Paul est épuisé et il s’enfonce dans la dépression. Il est à présent incapable de retourner au travail.

En situation de stress, la victime  fait donc face à la menace en mobilisant ses ressources défensives. Par contre, en cas de trauma, comme celui vécu par Paul, une image du réel de la mort va faire effraction dans l’appareil psychique et s’y incruster comme un « corps étranger ».
Quant au syndrome du stress post-traumatique, dont on parle beaucoup actuellement suite aux différents attentats qui ont frappé Paris et Bruxelles, il se définit comme un trouble anxieux sévère qui apparaît à la suite d’un événement traumatique, qui a éventuellement exposé l’individu à la mort. Les victimes directes de l’événement ou les témoins d’une catastrophe en sont les plus souvent touchés. Comme principaux symptômes, on retrouve les insomnies, les cauchemars, l’irritabilité, l’isolement, la colère, la peur, parfois les violences ou les dépendances (alcoolisme…) et la dépression. Chez certaines personnes, le stress post-traumatique peut engendrer des troubles plus invalidants comme les évitements (éviter la foule, les transports en commun…).
Le «syndrome du survivant» est un autre trouble qui peut apparaître chez les victimes ou témoins : ils développent un sentiment de culpabilité parce qu’ils sont vivants et que d’autres ont péri sur les lieux de la catastrophe.
Suite à un événement traumatisant, les symptômes peuvent se manifester durant plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois. On parle dans ce dernier cas de stress post-traumatique chronique.
Après les attentats du 22 mars, il est certain que l’on retrouve encore aujourd’hui des victimes sujettes à un état de stress post-traumatique. La plupart sont évidemment les victimes directes (blessés, témoins, familles des victimes…). D’autres, bien plus nombreuses, vivent en état de traumatisme psychique. Parfois en l’ignorant.

Comment identifier un proche ou un collègue traumatisé ?

Certains comportements et attitudes sont significatifs d’un état potentiel de traumatisme psychique. Les symptômes suivants doivent, à ce stade-ci, soit quelques mois à peine après l’événement, éveiller votre attention.
Physiquement tout d’abord : la personne fait état de troubles du sommeil, de fatigue voire d’épuisement. Elle présente des réactions de sursauts exagérés, des besoins augmentés de consommation d’alcool, de tabac, de café ou d’autres substances.
Intellectuellement ensuite : votre connaissance se plaint de présence de flash-backs, elle présente des troubles de la mémoire, est inhabituellement inattentive et distraite, a des « absences », commet des erreurs inhabituelles dans son travail.
Émotionnellement enfin, la personne a tendance à s’isoler, à se mettre en retrait de certaines tâches ou missions. Elle peut se décourager, faire preuve de  colère ou de rancœur. Elle fait part d’un sentiment d’insécurité et d’un émoussement affectif.
Ces réactions sont normales après un événement critique, mais elles sont incontestablement désagréables. Elles peuvent affecter les individus sur des modes différenciés selon leur personnalité et leur vécu. Il est souvent important de savoir que les personnes qui ont été victimes d’agression dans le passé (ce dont vous n’avez peut-être jamais été informé) sont en général beaucoup plus affectées par les événements actuels.
Ces réactions naturelles peuvent rester stables dans un premier temps et diminuer dans les semaines qui suivent. Ce sera le cas pour la majorité des victimes. Le risque existe cependant que ces réactions augmentent et se produisent de plus en plus souvent. Des conséquences peuvent alors apparaître au niveau des relations familiales et professionnelles. Des soins adaptés et une période de repos peuvent alors être nécessaires.

Que faire pour soutenir un proche ou un collègue traumatisé ?
Vous ne devez pas être un professionnel de la santé mentale pour vous rendre utile, en faisant preuve d’humanité. Ne vous empressez pas de déléguer directement votre soutien vers une aide professionnelle. Votre implication sincère aura beaucoup d’impact. Montrez-vous humain, proche et authentique et utilisez les conseils qui suivent.
N’attendez pas qu’on vous demande de l’aide, proposez-là !
Prenez tant l’événement à l’origine du traumatisme que les réactions qu’il a engendrées au sérieux. Ne minimisez pas.
Laissez exprimer les émotions et les questions sans juger et sans en forcer l’expression.
Consacrez votre temps et votre écoute à la personne.
Offrez votre aide pour des tâches concrètes et les questions matérielles.
Soyez tolérant et patient.
Demandez de l’aide si vous vous sentez dépassé par l’évolution de la situation ou si vous avez des questions. Votre intérêt sincère sera à coup sûr apprécié, mais reconnaissez aussi vos limites en proposant une aide professionnelle d’accompagnement psychologique.

Comment sortir du traumatisme ?

Tout d’abord, nous sommes convaincus qu’en exprimant nos émotions, nous nous libérons de l’énergie accumulée dans l’organisme lors de l’expérience émotionnelle et, avec elle, de l’impact du souvenir. A contrario, ne pas exprimer ses émotions pourrait engendrer des risques pour la santé de l’individu. C’est le modèle du réservoir et de la bouilloire : nos émotions font monter la pression jusqu’à ce que le couvercle saute et que la vapeur s’échappe sous forme de larmes, de rage ou de cris. Fermer les vannes, c’est risquer de faire exploser la bouilloire.
Pour les intervenants psychosociaux, les vertus libératoires de l’expression verbale de l’émotion ont été abandonnées et le défi réside dans le fait d’intégrer progressivement le souvenir traumatique aux souvenirs tout court. De recréer du sens autour de ce qui n’en a pas, et d’intégrer ce « corps étranger » au reste du psychisme.
Un jour Paul pourra repenser à Marc vivant, à leurs rires au cours de parties de cartes. Il ne l’oubliera jamais et c’est la larme à l’œil qu’il repensera, triste mais sans terreur, à tout ce gâchis. 1. Neboit, M. (2002). Stress au travail et santé psychique. Toulouse : Octare

Stress ou Trauma ?

stress trauma
Ori zine Stress évoque la contrainte,
la pression imposée à une structure mécanique
Τραυμα = blessure avec effraction
Définition Réaction immédiate biologique, physiologique et psychologique d’alarme, de mobilisation et de défense de l’individu face à une agression ou une menace. Choc violent surprenant le sujet qui ne s’y attendait pas
et qui s’accompagne d’effroi.
Durée Il provoque une souffrance psychique qui dure tant que la menace externe subsiste. Il dépose pour toujours une source de perturbation, un corps étranger. Les effets se feront sentir indépendamment de la disparition de la menace.
Etat affectif
  • Peur, angoisse.
Effroi : aucune représentation, arrêt de la pensée, absence de mots, absence totale d’émotion, perte de sa condition d’homme.
Soins Les manifestations de stress nécessitent des soins
immédiats.
Les effets du traumatisme seront l’objet de soins post-immédiats et/ou à long terme.
Caractéristiques Réactionnel.

Réaction d’adaptation en rapport avec l’objet du stress.

Non spécifique.

Soudain, inattendu, spécifique: il s’agit d’une situation où la vie du sujet a été brutalement menacée.

Alerte permanente.

En savoir plus
Yves Ghinet, psychologue consultant pour Spmt Arista, Service Externe de Prévention et de Protection au Travail. Consultations à 7160 Chapelle-lez-Herlaimont.
Adresse mail : ghinet_yves@yahoo.fr. Tél. : 0484 266584

 

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