Comment être authentique dans ses relations professionnelles

Parler vrai au boulot ? Pas si facile. Comme dans d’autres contextes d’ailleurs. Dans toute relation peuvent survenir des difficultés à dire les choses, à nommer ce qui ne va pas ou plus. Et les raisons ne manquent pas pour se murer dans un silence que le langage non verbal finira le plus souvent par trahir. Au détriment d’une certaine vérité pourtant porteuse de sens et donc de bien-être, les deux étant très souvent liés. Alors parler vrai, un jeu d’enfants ?

Par Pierre Lucas, directeur, coach et trainer coach du BAO Group- Photo Mathilde Troussard- Membres du comité de direction et collaborateurs du CPAS de Charleroi.

Une vérité du genre de celle qui sort de la bouche des enfants ? Que nenni. En principe, la communication au boulot se fait entre personnes adultes. Capables de mettre les « maux » en mots. De se dire les choses sans tomber dans le piège des émotions qui débordent. Mais en principe seulement … Car il n’est pas rare de voir une salle des profs ou un comité de direction se transformer en bac à sable. Ou plus subtilement (et le plus souvent d’ailleurs) en un terrain où tout devient prétexte à un désaccord ou une dispute. Un peu comme le font les enfants qui pleurent pour des raisons affichées différentes de celles qui les animent vraiment. Trichant ainsi avec eux-mêmes, avec les autres et avec leurs propres émotions.

Émotions au boulot ? Danger !

Le monde de l’entreprise est aujourd’hui régi par des croyances et des valeurs essentiellement basées sur la compétition. C’est le plus fort, le plus grand, le plus gros, le plus intelligent, le mieux organisé, le plus efficace, le plus agile, le plus riche… qui gagnera, ou survivra, tout simplement. Il y a même des boîtes – privées ou publiques – où les pires concurrents – les plus féroces – se trouvent à l’intérieur même de l’organisation, minant insidieusement son élan vital. Et donc la créativité pourtant indispensable à la vie et à la survie des systèmes.

Dans ces conditions proches de celles de la jungle, afficher ses points faibles n’est pas conseillé : Mieux vaut garder pour soi ses émotions. Sauf la joie (et encore).

Les entreprises qui se maintiennent dans ce paradigme désenchanté sont potentiellement des fabriques de burnout. Elles risquent fort de ne pas passer le cap des générations car les nouvelles vagues (Y et suivantes) ne sont plus prêtes à sacrifier leur vie entière pour le boulot.

De plus en plus de boîtes l’ont compris et font des efforts, parfois remarquables, pour développer l’esprit de coopération et l’empathie. Mais quelles étapes ces organisations du futur doivent-elles franchir pour évoluer et se donner toutes les chances de s’adapter dans un monde en perpétuel mouvement ?

Il faut d’abord apprendre à communiquer de façon adulte, authentique et respectueuse de soi et des autres…  Tout un programme souvent proposé de façon incomplète ou désordonnée.

Beaucoup d’entreprises organisent ainsi des formations en assertivité construites sur la base des travaux de Marshall Rosenberg. C’est un passage obligé, clairement. Car comment apprendre à faire de la musique harmonieuse sans connaître les notes et quelques accords de base ?

Néanmoins, ne prendre que ce « morceau » de choix est une erreur qui se paye en général assez cash : en effet, si elle repose sur des bases malsaines, la communication non violente devient paradoxalement un outil de désintégration de la relation.

La communication non violente (CNV) : panacée universelle ou jeu de pouvoir bien emballé ?

La communication non violente propose un certain nombre d’outils remarquables. Un des plus connus en entreprise est certainement le DESC qui structure le message de telle façon que les choses qui doivent être dites le soient… sans agressivité et en exprimant ses besoins et demandes de façon claire. Un bel outil de feed-back, assurément.

Quelques heures de formation suffisent pour appréhender cette forme de communication qui a fait ses preuves et qui est susceptible de donner très rapidement des résultats probants.

Mais cette technique – comme toutes celles qui touchent à l’humain – a ses limites et même certains effets pervers.

À elle seule, elle ne permet pas d’assurer des relations fluides entre les personnes et peut même à la longue – si elle est utilisée à mauvais escient – s’avérer contre-productive.

En effet, elle ne met pas à l’abri des jeux de pouvoirs souvent inconscients qui régissent les rapports humains. Et qui mènent parfois à des échanges dignes des tragédies grecques.

L’entreprise est un théâtre…

Qu’on le veuille ou non, l’entreprise est un terrain de jeux de rôles pas si drôles. Et de jeux de pouvoirs pas toujours évidents à déceler de prime abord.

S’y retrouvent toutes les stratégies comportementales visant à trouver sa place, la garder ou en changer si elle ne convient pas.

Nous ne parlons pas forcément des places au sens des postes de travail ou du positionnement sur l’organigramme. Mais bien de la place que chaque personne cherche à avoir dans son groupe. La place symbolique où la personne se sent exister dans son propre regard et aux yeux des autres. Une place où elle se sent bien. Heureuse de satisfaire ses besoins et ses valeurs les plus fondamentales (sécurité, reconnaissance, liberté, autonomie, plaisir, créativité, relation, communication, efficacité, confort… etc. La liste est longue)

Et cela fonctionne ou dysfonctionne de la même façon que cela a fonctionné (ou dysfonctionné) dans la première entreprise dans laquelle chacun d’entre nous a dû se faire sa place : la famille d’origine. Parents et fratrie auxquels s’ajoutent parfois d’autres relations proches (oncles, tantes, grands-parents, cousines et cousins, etc.).

La façon dont chaque humain prend ou ne prend pas sa « juste » place dans un groupe dépend fortement des facteurs relationnels familiaux de départ.

Avec l’âge et surtout l’expérience, les décors changent (jardin d’enfants, école primaire, secondaire, université, mouvements de jeunesse,…). Mais à chaque fois se rejoue pour chacun la nécessité de trouver sa place et de la prendre ou… la laisser.  Pour certains cela semble facile et naturel. Pour d’autres cela peut être plus ardu. Pourquoi les uns n’osent t-ils pas prendre leur place (s’exprimer) tandis que d’autres empiètent voire abusent de la leur ?

Le comprendre, le reconnaître et entamer un travail d’introspection et de remise en question est un passage obligé préalable à la communication, fût-elle non violente. De la même façon qu’un virtuose du violon ne produira que bruit sur un instrument désaccordé.

Concrètement, avant de communiquer de façon non violente, encore faut-il savoir quoi dire, à qui et pourquoi… Tout un programme.

Bien communiquer, c’est d’abord se connaître soi

Exprimer ses émotions est essentiel pour maintenir la bonne santé psychique et même physique si on retient l’idée d’un lien entre le corps et l’esprit. Cependant, si on ne se connaît pas bien, les émotions peuvent nous jouer des tours. La colère (sous toutes ses formes) cache souvent d’autres émotions enfouies et mal accueillies dans le monde des entreprises comme la tristesse ou le peur. Ignorer cette évidence conduit évidemment à une « fausse » communication non violente d’autant plus pervertie qu’elle sera de bonne foi …

Jacques Brel le disait à sa façon : l’ignorance est la mauvaise fée du monde.

Dans le même ordre d’idées, exprimer un besoin et le satisfaire, c’est bien. Mais c’est encore mieux si ce besoin est le « bon ». Ce qui n’est pas automatique. Combien d’entre nous n’ont pas déjà couru derrière un leurre ? Consacrant une énergie importante à atteindre des objectifs qui n’étaient pas ceux qui nous rendraient plus heureux ?

Se connaître soi, en profondeur, permet d’éviter bien des déconvenues. À cet égard, le phénomène du burn-out est un révélateur à grande échelle de la connaissance limitée que les gens ont d’eux-mêmes. Après un burn-out, la personne n’est plus la même dit-on souvent. Son échelle de valeurs et ses préoccupations fondamentales ont changé. De même que ses objectifs.

D’où l’impérieuse nécessité d’investir dans la connaissance de soi et dans la communication qui s’en suit. Il y a encore du chemin à faire… Et il commence dans la famille et à l’école.

TÉMOIGNAGES

Anita Gancwajch, directrice « Aînés et Famille » – CPAS de Charleroi

« Tant dans la vie professionnelle que privée, je voudrais parfois tellement dire à l’autre ce que sa façon de faire ou de ne pas faire provoque comme émotion chez moi mais… je ne le fais pas, soit pour ne pas le blesser soit parce que je n’ose pas. Alors j’attends, j’attends… et j’accumule les émotions négatives ; et puis un jour, où j’atteins mon seuil de tolérance, soit « l’éruption » est violente et l’autre n’y comprend rien, soit c’est mon propre corps qui s’exprime : ulcère, migraine voire dépression ou burn-out ! Et puis, au détour d’une formation donnée par l’équipe du BAO Group1… J’apprends le DESC : 4 lettres magiques, une technique, qui une fois rôdée et maîtrisée me permet de dire avec respect et authenticité ce que je souhaite dire à l’autre ou aux autres !  Je commence par la description objective des faits, sans état d’âme, je poursuis avec l’expression de mes émotions associées à ces faits pour planter le décor sans culpabiliser l’autre mais en le rendant conscient de ce qui se passe chez moi.
Ensuite, j’ose exprimer, de façon respectueuse, ce que j’attends et ce que je propose comme solution avant de terminer en vérifiant si cette proposition est acceptable pour l’autre et est comprise. Cela semble « facile » mais demande une intention, une attention et une volonté forte pour garder la trame de cet outil. Pour moi, la difficulté de cette pratique va également dépendre de mon niveau émotionnel, du lien hiérarchique et de ma capacité à reconnaître et à exprimer mes émotions. Alors parfois, je préfère privilégier l’écrit ou du moins préparer mon DESC par écrit ; le fait de l’écrire apaise et fait baisser la tension émotionnelle en la ramenant à un niveau plus acceptable. Plus j’ai l’occasion d’utiliser cet outil, plus cette façon de faire devient naturelle et moins cela demande d’attention ! Grâce à cet outil, dans mon travail, je me sens plus capable de m’exprimer authentiquement, je sais que mes paroles sont claires et non blessantes…et l’autre sait que mon intention est constructive. »

1. DESC  est un outil de la Communication Non Violente.

Marie-Line Poucet, directrice – CPAS de Charleroi 

« Depuis  2 ans, je suis en charge de la réorganisation d’un service. C’est dans ce contexte de restructuration, générateur de tensions, que j’ai eu l’opportunité de suivre une formation qui tombait à pic pour m’aider à répondre à une série de questions. Comment communiquer avec les membres de mes équipes pour accompagner le changement ? Comment interroger leurs pratiques, leurs fonctionnements, sans qu’ils ne se sentent remis en question ? Comment me donner le droit de faire part de mon point de vue sans que ce soit considéré comme un jugement ?
J’ai  toujours éprouvé des difficultés à dire des choses qui risquaient (à mon sens) de mettre la relation en péril.  Et donc, bien souvent, je ne les ai pas dites. Cette formation m’a appris à me donner le droit de le faire en parlant vrai, en utilisant différents outils. Aujourd’hui,  j’ose davantage soulever les problèmes car j’ai pris le temps d’objectiver les choses et envisagé une solution constructive. J’ai aussi appris à questionner mon interlocuteur pour mieux appréhender  la situation : poser des questions ouvertes, interroger ses / mes valeurs  et comprendre comment elles se traduisent concrètement, ne pas croire trop vite que j’ai compris, m’assurer aussi que je suis comprise,…De manière générale, les outils dont je dispose aujourd’hui me permettent d’être beaucoup plus à l’aise dans l’échange et je suis convaincue que ne pas dire les choses est beaucoup plus préjudiciable à la relation que de les dire, pour autant que cela se fasse de manière claire et respectueuse. »

Olivier Georges, directeur « Prévention et Santé Mentale » – CPAS de Charleroi 

« C’est essentiel de bien se connaître pour « Être » dans des relations plus authentiques. Dans mon cadre professionnel, je privilégiais inconsciemment l’efficacité aux aspects relationnels. Avoir compris mon mode de fonctionnement m’a permis de revoir mon échelle de valeurs. Si l’efficacité reste une valeur forte chez moi, j’accorde aujourd’hui plus d’importance au bien-être au travail. Dans un de mes services, la cohabitation de plusieurs équipes aux réalités différentes génère régulièrement des tensions voire des conflits interpersonnels. Dans une telle situation, être bien « outillé » est nécessaire : analyse transactionnelle, communication non violente, approche systémique. Il faut également un cadre sécurisant pour que chacun s’exprime sur son ressenti et propose des pistes pour améliorer le vivre ensemble. Avoir une communication franche et dans le non jugement permet d’éviter que les tensions s’accumulent et renforce la confiance. Ce n’est pas naturel et il faut s’entraîner pour y arriver. Personnellement, j’essaie d’exprimer davantage mes émotions négatives et positives, de donner régulièrement du feed-back à mes collègues pour développer des rapports plus authentiques. »

Éric Dosimont, directeur du Service Social – CPAS de Charleroi 

« Pour être dans une relation authentique il n’y a pas de miracle. Il faut à la fois mieux se connaître et interroger son propre fonctionnement et à la fois mieux comprendre les ressorts du fonctionnement de ses interlocuteurs. Il m’a fallu suivre une formation pour en prendre tout-à-fait conscience. Faire face à ma propre réalité et emprunter petit à petit des chemins m’éloignant peu à peu des manières de communiquer habituelles n’est pas toujours évident mais, cela me permet d’oser communiquer de manière plus congruente.
J’ai très vite remarqué que l’authenticité judicieusement mise en pratique, comme une meilleure compréhension des pièges à éviter, ouvre de nouvelles pistes, élargit mon horizon et mes perspectives de collaboration tous azimuts.
Aujourd’hui, pour mieux interagir avec mes équipes et pour mieux accompagner l’évolution de celles-ci, ma communication est à la fois plus franche et plus constructive mais également aussi plus transparente et plus assertive. »

Muriel Wart, coordinatrice de la Cellule Formation – Évaluation – Stage CPAS Charleroi 

En tant que responsable des formations, je ne peux que me réjouir de l’expérience que nous avons récemment vécue au sein du CPAS de Charleroi. En effet, je pense que nous ne pouvions pas prétendre dans une institution de la taille de la nôtre (2500 agents) avoir une réelle authenticité dans les relations de travail. Les jeux de pouvoir prennent parfois le dessus et la confiance est régulièrement mise à mal. Suite à cette prise de conscience, il a été important que le premier pas soit franchi grâce à l’investissement et l’implication d’une direction générale qui n’a pas eu peur de se remettre en question. À la suite de la formation, force est de constater que celle-ci a  permis de rendre plus authentiques les relations notamment au sein du comité de direction. Je ne rêve pas, tout n’est pas devenu « rose et violet » mais la palette de couleurs s’est élargie. Personnellement, j’ose plus…  parler, « me confronter », me questionner. J’arrive à mettre les formes dans l’expression de mon authenticité et d’être de ce fait moins victime de mes émotions. Mieux se connaître soi-même et mieux connaître l’autre crée de la confiance et permet sans aucun doute plus d’authenticité
au travail. »

Si vous souhaitez en savoir plus sur les formations données par le BAO Group, consultez le site www.bao-group.be

Pierre Lucas 
Directeur, coach et trainer coach du BAO Group, Pierre Lucas est
le cofondateur de l’institut de coaching, mentoring et développement personnel BAO Elan Vital.

 

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