La sexualité ? À quoi bon, en fait ?

Elle sert à quoi, en fait, la sexualité ? À faire des enfants, répondons-nous aux nôtres lorsque nous leur racontons l’histoire de la petite graine. Vous reconnaîtrez que c’est un peu court. Primo les actes sexuels à visée procréative ne représentent qu’une fraction dérisoire des innombrables galipettes que nous pouvons faire dans notre vie, secundo nous pouvons, par des détours médicalement assistés, faire des enfants sans faire l’amour, et tertio la sexualité humaine ne se limite pas aux actes copulatoires. En amont et en aval, elle déborde de partout, comme un torrent impétueux en période de dégel.

Par Armand Lequeux,, professeur émérite  de sexologie à l’UCL.

Notre sexualité est libérée de l’instinct : pas de périodicité hormonale impérative, pas de comportement stéréotypé en réponse à un stimulus spécifique. Par ailleurs, elle n’a rien d’un besoin physiologique, nous la sublimons plus aisément que la fonction digestive ou respiratoire. Alors quoi ? C’est une force aveugle, une pulsion, un moteur… Spontanément, naturellement, nous ne savons ni à quoi ça sert, ni comment on s’en sert. C’est diablement plus compliqué qu’un meuble Ikea. Nous devons bricoler quelque chose avec un « bidule » puissant qui n’a aucune fonction précise et aucun mode d’emploi. Vous étonnerez-vous qu’il y ait des dérapages et des accidents ?

L’espèce humaine a dû aménager des digues pour canaliser ce torrent. Pour gérer leurs comportements sexuels, nos lointains ancêtres ont établi des tabous et des obligations, des limites et des contraintes. Ils les ont justifiés en inventant des mythes et des dieux, des religions et des idéologies. Avec l’interdit de l’inceste, ils ont structuré la filiation. Avec la nécessité de faire alliance pour pouvoir « coucher ailleurs », ils ont inventé la société. En créant du lien, ils ont créé la culture et depuis, comme le relevait déjà Montaigne, notre nature consiste précisément à n’en avoir point. Tout cela à partir de la pulsion sexuelle, c’est génial non ? Béni soit le sexe ! Mais aujourd’hui, alors que nous avons déconstruit les idéologies et les religions, comment cette pulsion peut-elle encore donner sens à nos vies individuelles et collectives ? Sans doute avec des limites et du lien, puisque c’est la formule magique de nos ancêtres ! Le mariage « à l’ancienne » établissait d’abord le lien. La sexualité venait ensuite le confirmer et, même si elles étaient largement transgressées,  les limites étaient claires : hors du mariage point de sexe. Il faut le reconnaître, le modèle a explosé. La disponibilité d’une contraception efficace, le féminisme, l’exigence d’authenticité, la quête d’une libre réalisation de soi : tous ces éléments se sont conjugués pour transformer radicalement notre rapport au sexe. Il suffit pour s’en convaincre de réaliser que la virginité, qui était encore une valeur précieuse dans nos contrées il y a quelques dizaines d’années, est devenue un handicap, du moins à partir d’un certain âge. La sexualité de nos jours précède largement le nouage du lien conjugal. Elle est exploratoire et participe au processus de sélection du partenaire. L’épanouissement sexuel est un prérequis à l’engagement de nos jeunes contemporains dans une relation amoureuse qu’ils sont encore nombreux à souhaiter durable. Le drame survient lorsque cette harmonie sexuelle devient une condition du maintien du lien. Quand on sait à quel point notre sexualité est fondée sur une pulsion brute, versatile et insensée, on comprend que le lien conjugal soit devenu si fragile ! Alors ? Faut-il espérer un retour du balancier vers un nouvel ordre moral ? Je préfère parier sur l’inventivité des jeunes générations. À travers des comportements qui peuvent nous paraître débridés, ils inventent des liens virtuels, ludiques, temporaires ou conditionnels qui ont l’avantage de l’authenticité et qui valent bien l’hypocrisie de certains contrats de mariage à l’ancienne. Ils ne perçoivent plus la sexualité en noir et blanc comme les générations précédentes pour qui elle était sainte dans le cadre du mariage et perverse partout ailleurs. Ils voient le sexe en technicolor. Il n’est sacré que lorsqu’ils le décident librement. Leurs limites ne sont plus des bornes en pierre au bord de routes bien tracées, ce sont des balises virtuelles qu’ils déplacent aussi facilement qu’une application sur leurs smartphones. Ils n’ont pas de plan et ils ne veulent plus d’architecte. Il leur faudra de l’audace et de l’imagination. Osons leur faire confiance. Leur goût de vivre et d’aimer vaut bien celui de leurs aînés.

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