En filigrane de tout le numéro de Psychologies de mars dédié aux femmes, se pose la question du genre. Elle permet en effet de comprendre la source de la plupart des discriminations infligées aux femmes. Le terme « genre », auparavant majoritairement associé à la grammaire, est un concept assez récent d’origine anglo-saxonne, il vient du mot « gender ».
par Christiane Thiry
Utilisé pour la première fois par le psychologue et sexologue John Money, le terme est repris par Ann Oakley, sociologue britannique qui renvoie le genre au culturel et le sexe au biologique. C’est dans les années 1980 que les relations hommes/femmes entrent au cœur du questionnement. Féministes et sociologues différencient genre et sexe. La notion de sexe renvoie aux caractéristiques purement biologiques qui différencient hommes et femmes. Par opposition, la notion de genre renvoie aux fonctions et rôles sociaux, aux statuts, aux stéréotypes attribués selon qu’on est une femme ou un homme. Le genre permet de mettre en évidence que la définition, la représentation, la perception du féminin ou du masculin sont des constructions historiques, culturelles, hiérarchisées et symboliques. N’étant ni naturelles ni innées, elles sont variables et évolutives. Les avancées théoriques sur le genre confirment aussi que les rôles sociaux et les stéréotypes véhiculés par la famille, l’éducation, les institutions, intégrés dans les mentalités et les cultures, ont été construits par des hommes pour assurer la domination masculine sur les femmes. Les hommes sont et restent dominants en matière de pouvoir et de prise de décision au niveau politique et économique. En Belgique, le principe de l’égalité hommes-femmes n’est inscrit dans la Constitution que depuis 2000. Ce n’est qu’en 1965 que le père ne fut plus considéré automatiquement comme le chef de famille. Avant 1976, une femme ne pouvait ouvrir un compte en banque sans la bénédiction de son époux ! Enfin, la dépénalisation de l’avortement ne remonte qu’à 1990. La préoccupation concernant l’égalité des sexes est récente. Si d’importants progrès sont à l’oeuvre depuis plusieurs décennies, l’accès à un salaire égal, aux responsabilités, à des mandats électifs reste difficile. Sans compter les violences conjugales et les harcèlements sexuels dont les femmes sont encore victimes.
Malgré les avancées liées à la notion de genre, bon nombre de personnes continuent à confondre différence biologique et sociale, à attribuer aux rôles sociaux une dimension « naturelle » ou à légitimer les inégalités sociales par la différence biologique. Nous pensons que le sexisme, fondé sur une définition de la féminité et de la masculinité qui fait des hommes des « êtres supérieurs » aux femmes, n’existe plus. Or les stéréotypes « le rose et les poupées, c’est pour les filles », « les femmes sont moins douées pour les sciences » ou « un homme ne pleure pas », paraissent toujours naturels pour certains. Et, bien qu’une forme de légitimation de l’inégalité consiste à qualifier les femmes et les hommes de « différents » mais « d’égale valeur » ou de « complémentaires », les femmes restent placées en dehors de beaucoup de pans de la société. En témoigne la récente annonce du Forem montrant une fillette vêtue d’un tablier vichy rouge et blanc, gant et chiffon à la main, bigoudis dans les cheveux, avec pour slogan : « Osez réaliser vos rêves…, devenez auxiliaire de ménage ».
Même si la notion de genre est parfois considérée comme fluctuante et difficile à délimiter ou si certains tentent d’atténuer son impact en la confondant avec la femme ou le sexe féminin, elle implique le rejet du déterminisme biologique, sous-jacent dans le mot sexe et dans l’expression « inégalité sexuelle », qui n’est qu’un alibi pour le maintien de la domination masculine. Le genre dévoile l’asymétrie fondamentale et la hiérarchie entre les deux sexes, les deux genres – l’un dominant, l’autre dominé – qui fondent le pouvoir masculin et qui furent longtemps ancrées dans la grammaire. Il oblige surtout à considérer les hommes et les femmes comme des êtres en relation et à prendre conscience que si c’est dans les relations de genre que le pouvoir intervient, celui-ci, tout comme les rôles sociaux qu’il induit, n’est ni fixe, ni immuable.