Au début, nos corps comme nos âmes semblent à l’unisson. On fait l’amour presque tout le temps, avec ce sentiment d’éprouver le même désir, le même plaisir. Et puis un jour, comme tous les couples, nous faisons l’expérience d’un désir qui s’essouffle.
Par Nathalie Cosyn, psychologue, thérapeute de couple
On réalise que l’on a moins envie de l’autre ou que l’autre a moins envie de nous, jusqu’à ce que parfois il n’y ait plus d’envie du tout. Comme elle peut être douloureuse pour nous deux cette découverte. Chacun se sent responsable. L’un de ne plus ressentir de désir, l’autre de ne plus réussir à le susciter.
Au-delà du manque physique, de l’absence de plaisir charnel, c’est toute notre relation et notre être qui se trouvent fragilisés. Nous nous mettons à confondre désir et amour, le fait de ne plus être désiré et avec celui de ne plus être désirable. Si elle m’aimait vraiment, elle éprouverait du désir. S’il me repousse, c’est que je ne suis pas sensuelle. La souffrance est d’autant plus grande, qu’elle peut se poser à l’endroit d’anciennes blessures. D’autres moments de notre histoire, où nous avons déjà éprouvé ce sentiment de ne pas être digne d’amour, où nous avons craint l’abandon ou le rejet.
Face à ce désir en perdition, chacun de nous va se débrouiller comme il peut. Nous pouvons tenter de nier la chose, étouffer notre ressenti. L’envie n’est plus là, mais on se force à faire comme-ci… pour se préserver soi ou l’autre. Hélas, ce simulacre ne fonctionne qu’un temps, et cette « négation de soi » a un coût. Loin d’épargner notre couple, elle mène à la rancœur, au dégoût de l’autre et de nous-même. A l’inverse, nous pouvons nous résigner, céder à cette absence de désir au point de renoncer à toute forme de sexualité. Puisque je ne désire plus/puisque l’autre ne me désire plus, il n’y a pas de rapport possible. On attend que la flamme renaisse d’elle-même comme par magie. Sans pressentir qu’en désertant nos corps trop longtemps, nous courons le risque de la laisser s’éteindre pour de bon. Le plus souvent, nos deux réactions s’opposent et nous opposent. L’un de nous défend son droit de ne pas désirer, l’autre celui de désirer et d’être désiré. Notre couple se déchire là où il se rapprochait encore hier.
Pour sortir de l’impasse, il faut entendre ce que cette perte de désir cherche à nous dire sur nous-même et notre relation. La sexualité, ou plutôt l’envie de sexualité, est un redoutable baromètre du bonheur conjugal. Selon que notre partenaire aura plus ou moins comblé nos attentes, nous serons davantage tentés, sans en avoir toujours bien conscience, de nous offrir à lui ou de nous refuser, de lui ouvrir la porte du plaisir ou de la maintenir (temporairement) fermée. L’absence de désir invite à explorer nos zones de frustrations, à nous interroger sur ce que nous attendons de celui/celle avec qui nous partageons notre vie. Elle nous engage par ailleurs à sortir de notre posture de victime, pour réinvestir notre couple. A nous soucier de ce qui pourrait rendre notre vie à deux (encore) plus harmonieuse. Parfois, la perte de désir ne dépend en rien de nous. Elle est imposée par la réalité comme celle consécutive à la maladie ou la vieillesse. Malgré l’amour que l’on se porte, nos deux désirs ne battent plus à la même cadence.
Nous n’y sommes pour rien, et pourtant restons pleinement responsables de ce que nous en ferons. Pour trouver une issue, nous devons nous défaire de l’idée que non désir de l’un et désir de l’autre sont inconciliables. Déployer nos efforts pour les faire converger, les conjuguer plutôt que les opposer. Le non désir est un « je ne veux pas » toujours singulier et mouvant.
Il nous faut l’explorer avec le plus grand soin, épouser chacun de ces contours, pour y déceler toutes les possibilités, aussi infimes soient elles, de rejoindre l’autre. Je peux ne pas vouloir être touché, ni caressé, mais bien vouloir m’occuper de ton désir à toi, te caresser, t’embrasser… Je peux ne pas avoir envie que tu viennes en moi/venir en toi, mais vouloir que nos corps se rencontrent, que nous nous effleurions, sentir ton odeur si familière, la chaleur de ta peau, entendre le souffle de ta respiration, que nous nous parcourions de baisers…
Loin d’annoncer la fin du couple, la perte de désir annonce davantage la fin d’un temps pour notre couple. Celui d’une entente fusionnelle, où nos désirs ne faisaient qu’un. Nous pouvons la voir comme une menace pour notre relation, ou une opportunité de grandir à deux.
Il nous faudra beaucoup d’amour pour accepter que le désir de l’autre flanche à un moment donné, beaucoup de confiance, de patience et de légèreté pour tenter de lui redonner un souffle nouveau.
Chaque fois que nos frustrations ou nos peurs voudront prendre le dessus, accrochons-nous à l’idée que la sexualité est une danse qui n’appartient qu’à nous. Quand un mouvement n’est plus possible, nous avons tout le loisir d’inventer de nouveaux pas.