Le non désir d’enfant

Une publication de l’Institut d’études démographiques en France nous apprend que 90 % des personnes interrogées dans une enquête récente pensent qu’il est impossible pour un homme ou une femme de s’épanouir sans enfant ! C’est violent, non ?

Par Armand Lequeux, professeur émérite de sexologie à l’UCL

Cette représentation sociale dominante accroît la souffrance de nos contemporains qui ne peuvent ou n’ont pu en avoir alors qu’ils le désiraient et participe, par ailleurs, à la stigmatisation de celles et ceux qui décident volontairement de rester sans enfant. Le non-désir d’enfant reste un tabou alors qu’il correspond selon des estimations de l’enquête INSERM-2010 à 5 % de la population française. C’est peu ? C’est pourtant supérieur au taux d’homosexualité (3 à 4 %) généralement calculé dans nos pays occidentaux : il n’y a donc aucune raison de négliger cette partie de la population ! Qui sont-ils ? Qui sont-elles ? Charlotte Debest a consacré sa thèse à cette question : Le choix d’une vie sans enfant, Presses Universitaires de France, 2014. Contrairement à certaines idées reçues, les personnes qui font délibérément ce choix n’ont pas d’antécédents spécifiques tels qu’une enfance malheureuse ou une éducation malveillante. Les célibataires et les homosexuels sont bien entendu représentés dans cette population, mais ils sont minoritaires et la plupart de ces personnes vivent en couple hétérosexuel, avec dans leurs antécédents un nombre de partenaires comparable à la moyenne et une vie sexuelle qualifiée de normale. Les femmes surtout témoignent qu’elles ont su très tôt qu’elles ne voudraient jamais d’enfant, les hommes semblent en prendre plus tardivement conscience. Ces personnes privilégient l’autonomie, la liberté, l’authenticité et la réalisation de soi. Pour elles, ces valeurs sont difficilement compatibles avec la parentalité qu’elles tendent à considérer comme une servitude volontaire qu’elles respectent chez les autres, mais qui ne correspond pas à leur choix de vie. Être parent représente pour ces hommes et ces femmes une responsabilité existentielle (mettre au monde dans ce monde…), protectrice (avec tous les risques…) et éducative (élever, soutenir…) à durée illimitée (on ne divorce pas de ses enfants…). Ces personnes témoignent qu’elles font l’objet de pressions, violentes parfois, de la part de leur entourage qui ne comprend ni n’accepte leur choix. Tu es égoïste (le désir d’enfant est-il toujours altruiste ?), tu n’aimes pas les enfants (on peut aimer sans vouloir posséder !), tu n’es pas vraiment une femme ou un homme (mon identité humaine dépend donc de mon statut reproducteur ?), tu le regretteras plus tard (merci pour cette sympathique prophétie). On peut s’interroger sur les raisons qui poussent les communautés humaines (la pression est encore plus violente dans les sociétés traditionnelles) à se montrer à ce point intolérantes à ce non-désir d’enfant. On peut penser que ce choix questionne la société à trois niveaux. C’est d’abord la norme procréative qui est remise en question : nous sommes tous et toutes appelé(e)s à remplir notre devoir reproducteur, à rembourser en quelque sorte notre dette de vie. C’est ensuite la place des femmes dans la société qui risque d’être contestée : dotées d’un merveilleux instinct maternel, il convient qu’elles continuent à se sacrifier spontanément et avec joie aux soins des enfants et, dans la foulée, aux travaux ménagers et au bonheur paisible de leurs maris ! Enfin, le double statut du couple est questionné par ces personnes qui mettent en évidence la tension entre d’une part le couple conjugal qui privilégie la passion, l’autonomie et la fidélité à soi-même et d’autre part le couple parental, dont les valeurs sont l’attachement inconditionnel, la responsabilité, la servitude volontaire et l’indissolubilité du lien. Et nous ? À titre individuel, en quoi sommes-nous interrogés et peut-être dérangés par les personnes qui font ce choix de vivre sans enfant ? Si nous sommes parents, c’est peut-être notre propre désir d’enfant qui est ici remis en question. Quelles furent nos motivations ? Quelle part d’inconscience immature ou de choix délibéré dans notre décision ? Répondre à cette question pourrait nous permettre d’assumer vraiment et paisiblement notre responsabilité parentale. Nous avons le droit d’interroger toutes les évidences que notre nature semble nous imposer, c’est peut-être participer ainsi à la dignité humaine.

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