Identité ou orientation sexuelles?

C’est à Alfred Kinsey, un pionnier de l’approche scientifique de la sexualité, que l’on doit l’existence d’une grille qui permet de situer un individu sur une échelle indiquant son orientation sexuelle. Si le curseur est à l’extrême gauche, sa préférence sera considérée comme exclusivement hétérosexuelle, à l’extrême droite elle sera homosexuelle exclusive. Entre ces deux pôles, il y a de la place pour toutes les nuances qui peuvent d’ailleurs, pour un même individu, varier en fonction de son âge et des circonstances de sa vie.

Par Armand Lequeux, professeur émérite  de sexologie à l’UCL

Kinsey parlait bien d’une inclinaison, d’une préférence, il n’a jamais cherché à définir qui était gay ou lesbienne : il considérait l’homosexualité comme une orientation et non comme une identité. La plupart des théoriciens de la sexualité et des chercheurs en sciences humaines continuent à lui donner raison, mais dans les faits l’homosexualité, dans notre société, est le plus souvent vécue comme une identité. On est gay ou on ne l’est pas ! On est lesbienne ou pas ! On peut encore se déclarer bi ou trans, mais il faut choisir son camp et faire son coming out avant d’être intégré dans une communauté qui a ses codes, ses façons de se comporter, ses modes de communication, ses habitudes de consommation et ses revendications spécifiques.

C’est sans doute à partir de cette notion de revendication qu’il convient de comprendre le caractère identitaire de l’homosexualité occidentale contemporaine : confrontés à la stigmatisation parfois violente de leur orientation sexuelle, celles et ceux qui souhaitaient la vivre librement ont exigé à juste titre d’être acceptés dans leur différence ce qui les a conduits à s’identifier totalement à leur cause comme des combattants qui s’identifieraient à une nation, une idéologie ou une religion. Je rêve peut-être, mais dans notre société il est permis de croire que cette stigmatisation s’est progressivement affaiblie et que la préférence homosexuelle est mieux acceptée. Il est sans doute temps de relâcher la pression, d’assouplir les positions et de donner au drapeau arc-en-ciel du mouvement gay toute sa signification : il y a chez nous de la place pour toutes les façons de s’aimer et d’épanouir sa sexualité sans devoir choisir son camp. Je pense en particulier aux adolescents qui sont particulièrement sensibles aux questionnements identitaires et à qui on adresse parfois un message sans nuance : « Si tu as des attirances envers les personnes de ton sexe, ne crains pas de reconnaître et de faire reconnaître ton homosexualité dont tu peux être fier ! ». Alors que l’orientation sexuelle est particulièrement fluctuante à cet âge, il serait regrettable que certains se sentent contraints d’adopter trop tôt un camp plutôt qu’un autre.

Nicole, à 45 ans, conteste d’ailleurs vivement cette notion de «camp» dans son témoignage : « Je suis tombée amoureuse de Julien et j’ai connu de belles années avec lui. Nous avons deux enfants. Aujourd’hui, je suis amoureuse de Juliette qui partage ma vie et je me sens bien. Suis-je lesbienne, homo, hétéro ou bisexuelle ? Je m’en fous et je refuse d’être ainsi cataloguée et enfermée dans une case. J’ai aimé Julien, j’aime Juliette. Il ne s’agit pas d’une question de genre ou de sexe, il s’agit d’êtres humains, de personnes uniques et singulières qui ont croisé ma route avec bonheur. Merci la vie ! »

La sexualité est un immense continent dont les limites nous échappent. Il n’est pas nécessaire d’en avoir exploré tous les contours pour s’y épanouir, mais il est bon, je crois, de rester libre et fluide pour y voyager avec bonheur en évitant les stéréotypes, les étiquettes et les placards.

Armand Lequeux, professeur émérite  de sexologie à l’UCL. Dernier ouvrage paru :
Sexe, amour et société. Boiter sans doute, danser toujours. (Éd. Mols, 2013)

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