Il est une croyance tenace dans le domaine alimentaire : nous sommes persuadés, généralement et pour la plupart, de manger « à notre faim ». Pas plus en tout cas, sauf exception. Ce serait physiologique, pensons-nous. À partir d’une certaine quantité de nourriture consommée, l’estomac bloque, envoyant au cerveau un message « stop » ; c’est ce qu’on appelle la satiété. Des scientifiques doutent cependant du bon fonctionnement de ce mécanisme, arguant que l’on mange plutôt avec les yeux et que la satiété survient simplement quand l’assiette est vide. Indépendamment de la quantité réellement consommée.
Méthode Une équipe de chercheurs des États-Unis a invité des participants à prendre part à une expérience pendant la pause de midi, prétextant qu’ils testaient une nouvelle recette de soupe à la tomate. Les participants étaient donc conviés à la goûter. L’objet de l’expérience était en réalité tout autre : les chercheurs évaluaient dans quelle mesure la consommation d’un individu est influencée par la quantité qui lui est servie. Pour la moitié des participants, ils ont truqué le bol de soupe – via un dispositif qui le remplissait au fur et mesure qu’il se vidait, sans que le participant ne puisse s’en rendre compte – et ont observé si la consommation était plus importante dans ce cas. La consigne était donnée à tous les participants de goûter la soupe et d’en manger autant qu’ils le désiraient.
Résultat Les résultats confirment l’hypothèse émise par les chercheurs: lorsque les participants mangeaient la soupe à la tomate dans le bol truqué, ils en consommaient une quantité supérieure de 73 % par rapport aux participants dont le bol n’était pas truqué ! Les participants n’étaient en outre pas conscients du truquage. Mieux (ou pire, c’est selon), en moyenne, ceux qui mangeaient dans le bol truqué – et donc en quantité supérieure – n’avaient pas l’impression d’avoir mangé plus par rapport aux autres participants. La satiété semble donc bel et bien être une illusion.
Conclusion Plus on nous donne à manger, plus nous mangeons. L’équation est aussi simple que cela. Et la satiété n’a que peu à voir là-dedans. C’est plutôt une question d’ordre psychologique : nous pensons que la quantité de nourriture présente dans un plat correspond forcément à la quantité de nourriture qui doit atterrir dans notre estomac. Qu’elle soit trop élevée ou non : de toute façon, nous ne nous en rendons pas compte. C’est ce qu’on appelle l’heuristique de représentativité : croire que la portion servie représente nécessairement la portion à consommer. Ne faites plus confiance à votre estomac, il est sous l’emprise de votre esprit. Et il n’est pas toujours votre meilleur allié…
Source : Wansink, B., Painter, J. E., & North, J. (2005). Bottomless bowls: Why visual cues of portion size may influence intake. Obesity, 13(1), 93-100.
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