Au décès d’un proche, les émotions sont généralement telles que l’on se passerait volontiers des querelles d’héritage. Pourtant, elles sont, hélas, bien trop fréquentes, y compris dans les meilleures familles. Comment s’expliquent-elles ? Et, surtout, comment les éviter ?
Texte Manon Kluten
En plus du chagrin et du sentiment de manque, le décès d’un proche comme un parent ou grand-parent, et la succession qui s’ensuit, libèrent souvent une série d’autres émotions, pas toujours positives. Songeons à la jalousie, la déception, la colère, la peur et la méfiance. Parce que d’autres frères et sœurs reçoivent davantage, par exemple. Parce que vous aviez pensé qu’au moment de la succession, vous seriez récompensé(e) de toutes ces années que vous avez passées à soigner votre mère malade. Ou parce qu’il apparaît soudain que votre père était très endetté. Dans de telles situations, les émotions peuvent l’emporter sur la raison. Cela n’a rien d’étonnant, si l’on en croit Anouk Moors, médiateur familial et présidente de l’ASBL Bemiddeling (www.bemiddelingvzw.be) : « Avec la mort, l’héritage est l’un des événements les plus impactants de la vie. Et les réactions à de tels événements peuvent être très différentes d’une personne à l’autre. Pour l’une, la vie reprend vite son cours alors qu’une autre aura besoin de plusieurs mois ou même de plusieurs années pour faire son deuil et accepter la perte d’un être cher. Ces différences affectent les relations sous-jacentes. C’est pourquoi ces événements peuvent provoquer des conflits. Même si l’on assiste parfois au phénomène inverse : la mort peut aussi rapprocher les gens. Un héritage est alors un premier pas vers le dialogue, un prétexte pour se remettre autour de la table, car personne ne doit prendre l’initiative. De plus, la mort peut alors faire prendre conscience que la vie est trop courte pour vivre en conflit. »
Méfiance et secrets
Hélas, ce n’est pas toujours le cas. La méfiance entre les enfants du défunt vient souvent troubler la donne. Par exemple lorsqu’un des enfants a géré les finances et que les enfants n’ont pas pris entre eux de bons accords. « Après le décès de ma mère, mon frère a réclamé des explications à propos de dépenses spécifiques que j’avais dû faire pour elle », raconte Sylvie. « Car en plus de soigner ma mère malade, je m’occupais de ses finances. J’avais soigneusement noté toutes ces dépenses et pour tout remerciement, je n’ai reçu que de la méfiance. J’étais très déçue. » Une autre source fréquente de conflits, ce sont les secrets qui sont mis au jour au moment de l’héritage. Si un enfant qui éprouve des difficultés financières est aidé par les parents de leur vivant, et que les autres enfants en font la découverte après le décès, ils risquent d’éprouver de l’indignation et de l’incompréhension. Un autre facteur fréquent de conflit : des enfants qui ont travaillé dans une entreprise familiale. « Ma sœur a toujours travaillé dans l’établissement horeca de mes parents », raconte Myriam. « Moi, cela ne me disait rien. Mais à présent que les parents sont décédés, je m’interroge sur la position particulière que ma sœur a prise au sein de cet établissement et ce qu’elle a reçu financièrement et matériellement de plus que moi. »
Un bilan relationnel
En réalité, toutes les discussions relatives aux héritages se résument à l’idée que tout le monde doit être traité sur un pied d’égalité, mais que la pratique est souvent bien différente. Résultat : les gens se sentent lésés. Même dans des familles où les rapports étaient généralement bons. « Lors d’un décès et de la répartition de l’héritage, on établit un bilan financier mais aussi relationnel », explique Anouk Moors. « Combien le défunt a-t-il investi dans ma personne, y compris sur le plan immatériel, quelle place m’a-t-il donnée lorsque j’étais enfant et dans quelle mesure était-ce justifié ? Et aussi : comment avez-vous été aimé(e) ? Lorsque la relation prend fin, un bilan relationnel est établi. Au moment de l’héritage, ce bilan est parfait sur le plan juridique, mais il arrive que l’on ait l’impression que la répartition n’est pas correcte. Que ressentez-vous comme étant équitable vu sous l’angle relationnel ? C’est à ce niveau-là que des conflits peuvent survenir à l’heure de l’héritage. Si l’on ne parvient pas à les résoudre soi-même, un modérateur professionnel peut trouver une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées. »
Le but de cette intervention dans un conflit est d’en discuter avec toutes les parties sur un pied d’égalité et de trouver une solution qui convienne à tous. Cela signifie aussi que toutes les parties concernées doivent être informées de la situation de la même manière, et qu’une certaine compréhension peut apparaître de sorte que l’équilibre relationnel peut être rétabli. Généralement, on peut y arriver déjà au bout de trois, maximum cinq entrevues. La médiation peut être demandée par une ou plusieurs personnes, mais bien entendu, toutes les parties doivent y consentir. « Si ce n’est pas le cas, nous examinerons tout de même les autres options qui s’offrent à nous. On ne baisse pas les bras pour autant », poursuit Anouk Moors. « Ainsi, il y avait le cas de ce conflit entre héritiers qui faisait l’objet d’une procédure en justice depuis 24 ans et sur lequel plusieurs avocats s’étaient déjà cassé les dents. Finalement, nous avons pu le résoudre en quatre entrevues. Bien entendu, il faut du courage pour faire le premier pas. Mais il faut aussi un changement d’attitude pour passer du “je veux gagner” au “je veux qu’on en sorte tous de manière satisfaisante”. »
Parler aujourd’hui de ce que sera demain
Cette bonne disposition est bel et bien présente si l’on en croit le médiateur, qui estime même que si les gens s’accrochent obstinément à leur point de vue, c’est qu’ils ont leurs raisons. « Nous cherchons alors surtout à savoir ce qu’il leur faut pour nouer le dialogue. On peut défendre ce qu’on trouve important. La médiation ne signifie certainement pas que l’on doit céder sur toute la ligne. Elle signifie que l’on va trouver la solution la plus acceptable possible. » Bien entendu, il vaut encore mieux d’éviter les conflits. Par exemple en discutant de son vivant de sa succession avec ses futurs héritiers – en présence ou non d’un médiateur – et de faire acter les dispositions prises par un notaire. Parler aujourd’hui des questions futures, de cette succession, de la manière la plus transparente possible permet d’éviter de nombreuses souffrances. Si les parents ont besoin de soins, il est judicieux d’établir ce qu’on appelle un contrat de soins avec toutes les personnes concernées. On y consignera des accords très clairs, notamment sur l’organisation des soins et des finances. « On dit souvent qu’on n’en arrivera pas là, mais la pratique démontre qu’on est souvent trop optimiste », observe Moors. « C’est pourquoi il est utile de souscrire ensemble un tel contrat et de le confier par exemple un médiateur ou à un notaire. »
D’ailleurs, si vous avez vraiment la conviction que vous avez droit à une part d’héritage plus importante, il est utile de vous informer sur la position que vous occupez et de vérifier si votre idée est justifiée. Même si une telle démarche peut être difficile dans le cas de biens matériels. Souvent, ce n’est pas la valeur financière qui pose problème, mais la valeur émotionnelle. « Un héritier peut par exemple accorder une grande importance aux alliances des parents, alors qu’un autre se demande quelle est la valeur de l’or qu’elles contiennent », poursuit le médiateur. « Je me souviens d’une discussion à propos d’une chose qui n’avait aucune valeur matérielle, mais qui était source de conflits dans une famille de cultivateurs de fruits. La succession contenait 15 vieilles caisses à fruits qui avaient coûté à l’époque 20 francs pièce. Rien que les honoraires du médiateur dépassaient déjà la valeur de ces objets. La discussion portait non pas sur ses caisses mais sur l’absence de confiance entre les parties. La plupart des querelles d’héritage trouvent leur source dans des douleurs anciennes. Votre sœur ou votre frère a eu des chances qu’on ne vous a jamais données, par exemple. Ou vous vous êtes toujours senti(e) la brebis galeuse de la famille. Les parties en conflit font souvent référence au lien qui existait autrefois. Il est donc indiqué de prendre de votre vivant des accords avec tous les héritiers. L’idée selon laquelle qui ne sait rien ne doute de rien n’est certainement pas de mise. Un jour, j’ai parlé de son héritage avec une dame et ses deux fils. L’un des fils était célibataire, n’avait pas d’enfant et était bien dans ses papiers, l’autre fils avait trois enfants aux études, il venait de se marier et avait un revenu moyen. La mère expliquait que sa raison lui dictait de traiter ses deux fils de la même manière, mais son cœur estimait que ce n’était pas juste. La théorie était respectée, mais elle avait du mal à l’accepter en pratique. Nous en avons tous les quatre discuté ouvertement et avons fini par trouver ensemble une bonne solution. L’ouverture et la communication avec toutes les parties concernées sont dès lors la meilleure façon d’éviter les conflits. »
Le conseil du notaire
« Chaque situation est particulière et mérite sa propre analyse »
Vincent Lesseliers, notaire à Beveren : « La plupart des problèmes que je constate s’expliquent par des malentendus, comme dans le cas de cette veuve qui pensait qu’elle allait tout hériter de son mari défunt, de ces parents qui souhaitent déshériter leurs enfants alors que ce n’est pas possible ou de ces enfants qui, au décès d’un des parents, voient passer tout le patrimoine au parent survivant au lieu d’en hériter eux-mêmes. Mais le fait de traiter différemment les enfants et de faire des donations en secret peut également désarticuler les relations familiales. Il arrive aussi que des accords soient pris avec les meilleures intentions mais qu’ils débouchent plus tard sur des difficultés juridiques. Comme le cas de ce père qui donne une somme d’argent à un enfant et une maison de même valeur à l’autre. Si ces donations ne sont pas bien coordonnées entre elles, il peut arriver que l’enfant ne puisse pas conserver la maison pour des raisons juridiques. Les gens sont souvent mal informés. Allez donc voir un notaire. Chaque situation, chaque famille est particulière et mérite sa propre analyse. Surtout si vous faites partie par exemple d’une famille recomposée sans contrat de mariage, il est bon de savoir ce qu’il est possible de faire. Il est aussi utile de faire réexaminer un contrat de mariage vieux de 30 ans par exemple, pour voir s’il ne faut pas l’adapter à la situation actuelle. Ou peut-être faut-il vous demander si, dans votre situation, la convention de cohabitation est bien la formule la plus appropriée. Il est déjà arrivé que des couples avec des enfants viennent me trouver pour conclure une convention de cohabitation et qu’ils décident finalement de se marier parce que le mariage permet de mieux régler la succession. Le mariage a donc aussi une incidence sur le droit successoral. Tout comme les donations que vous souhaitez faire de votre vivant. Ici aussi, il est utile de consulter un notaire. Le coût de la démarche ne fait pas le poids : un testament coûte environ 300 euros et s’il existe un testament qui ne doit pas être modifié, la consultation est même gratuite. On peut établir et conserver son testament soi-même, mais comme le droit successoral est une matière complexe, il est préférable de recourir à un notaire pour être sûr que le contenu est correct sur le plan juridique. Le notaire se charge également d’enregistrer le document au Registre Central des Testaments, de sorte qu’il puisse toujours être retrouvé. »
Pour toute information complémentaire et pour trouver un notaire près de chez vous, consultez le site www.notaire.be.
Conseil de l’expert juridique et fiscal
« Mieux vaut apurer d’abord les dettes »
Inge Stiers, legal & tax expert chez ING : « Dès que la banque est informée d’un décès, les comptes et coffres-forts du défunt sont bloqués et plus aucun paiement ne peut être effectué. Ce blocage sert à protéger les intérêts de tous les héritiers et constitue une obligation légale visant à garantir le prélèvement correct des droits de succession. La banque peut débloquer les comptes sur présentation d’une attestation ou d’un certificat d’hérédité s’il n’y a pas de dettes fiscales ou sociales ou si ces dettes sont apurées. Ensuite seulement, les avoirs successoraux sont libérés. Les gens ignorent souvent que si les héritiers ou le défunt ont des dettes fiscales ou sociales, la durée de la répartition de l’héritage risque d’en être affectée. Le déblocage des comptes est en effet plus rapide si les héritiers ont apuré leurs dettes fiscales et sociales. Même si les montants impliqués sont faibles : une dette de quelques centaines d’euros à l’impôt communal peut déjà influencer ce processus. Par ailleurs, lors d’un décès, non seulement les comptes du défunt sont bloqués, mais aussi ceux de son conjoint, même si le couple était marié sous le régime de la séparation de biens. Ce que nous proposons en tant que banque dans une telle situation, c’est d’ouvrir un compte bis pour le conjoint survivant, sur lequel on peut transférer au maximum 5 000 euros à partir du compte bloqué. Les factures dites privilégiées, telles que les factures d’hôpital ou les frais funéraires, peuvent être transmises à la banque avec la demande de les payer depuis le compte bloqué. Par ailleurs, il est aussi possible d’ouvrir chez nous un compte bis au nom du conjoint survivant pour tous les avoirs versés après le décès, tels que les salaires, la pension et les allocations familiales. »