Ma mère est très proche de moi, je suis sa seule fille et j’ai 2 frères. Quand on se promène en rue, on nous prend pour 2 sœurs car elle fait jeune et en plus, elle s’habille comme moi. Quand mes copines et copains viennent à la maison, elle se mêle aux conversations. Ils la trouvent très sympa mais moi ça me gêne. Je n’ose pas lui dire qu’elle est ma mère et pas ma copine et qu’elle doit rester à sa place. J’ai peur de lui faire mal. Lisa, 16 ans.
Par Vanessa Greindl, psychanalyste
Chère Lisa, comme vous avez raison et comme c’est difficile en effet lorsque les enfants doivent réaliser le travail des parents, c’est-à-dire se charger notamment de l’opération qui consiste à couper le cordon. Vous êtes à un âge où vous aimeriez vous séparer, vous différencier de celle qui vous a mise au monde. C’est normal, sain et juste. Ce qui l’est moins, c’est que votre maman a peut-être du mal à l’assumer. La proximité qui vous a comblées peut-être jusqu’ici a à se transformer, ce dont vous êtes consciente, mais peut-être ce processus est-il plus difficile à appréhender pour elle ? Vos amis la trouvent chouette, mais le bémol se présente lorsqu’elle pourrait passer pour quelqu’un de la génération d’en dessous, et qu’elle revit, avec vous, une nouvelle jeunesse, ce qui envahit votre territoire. Vous craignez de lui faire mal; peut-être en effet aura-t-elle mal, non pas parce que vous la blesserez, mais parce que vous ôterez un voile qui aujourd’hui la coupe de la réalité de son âge, de sa génération, et du temps qui passe.
«Maman tu n’es pas ma sœur. » En la remettant à sa juste place dans les générations, vous lui demanderez cette nécessaire distance qui permet à un enfant d’éclore. Le fraisier donne du fruit si l’on a coupé son stolon, le tilleul ne poussera qu’à un certain nombre de mètres de la plante mère… Chez les humains, la distance se prend aussi, dans un premier temps, à l’aide d’une paire de ciseaux, et s’assume par la suite, grâce, notamment, aux différences, et à l’indispensable distinction des territoires…Vous demandez cette distance, ou plutôt, craignez de la demander et pourtant, elle vous est nécessaire, voire vitale, peut-être pas au sens physique du terme mais bien psychique, si vous aussi souhaitez, vous épanouir, fleurir, donner du fruit…