La vie est faite de synchronicités, j’en suis de plus en plus profondément convaincue.  Ainsi, ces dernières semaines, se sont croisées dans ma vie tout un faisceau de coïncidences comme pour ponctuer et mettre en mots un chemin de réflexions et une vague de sentiments vécus lors des interviews que j’ai réalisées en novembre 2014 sur le burn-out, thème qui fait l’objet de notre dossier de ce mois.

Par Christiane Thiry

Je ressens en effet depuis lors une sorte d’« à bout de souffle » de personnes épuisées par une société fondée sur la performance et sur l’utilitarisme. Une société en quête infinie de croissance qui veut toujours plus et qui exige que chacun et chacune en fassent toujours davantage, sans se soucier de la qualité du travail produit, de la convivialité, du plaisir de créer ensemble et du goût du travail bien fait. J’ai vu ces derniers temps l’univers de la presse se rétrécir, les licenciements se multiplier et des amis journalistes complètement désorientés. J’ai vu les effets dévastateurs de la recherche de rendement ou d’audience, érigés comme seuls paramètres à suivre. J’ai vu des hommes et des femmes transformés en outils jetables. Et puis tout cela traduit en mots, en phrases et en livre par Pascal Chabot dans L’âge des transitions1. « Quand on privilégie la seule croissance, ce qui était multiple se déséquilibre et s’ordonne au service d’un but unique. (…) L’humain n’est plus cette fin en soi que tout humanisme réclame mais un simple élément au service du désir de croissance », explique-t-il.  J’ai entamé la lecture de cet ouvrage il y a 15 jours et je l’ai vécu comme un cadeau, un souffle de vie. Une invitation à emboiter le pas aux groupes de transition qui émergent, ceux qui refusent de laisser guider leurs vies par des impératifs technologiques et économiques. Des personnes qui cherchent à comprendre et à interpréter les changements en cours et à se concentrer sur les moyens et non sur les fins, en prônant par exemple une agriculture durable respectueuse des êtres vivants et de leurs relations.
« Trans-ire c’est aller au-delà. » Au-delà  de l’empire de l’utile pour redonner du sens à ce que nous faisons et inventer un futur plus solidaire.  Sans rupture brutale, sur un mode conscient, en tâtonnant et en expérimentant d’autres voies, en cherchant une croissance qui ait un sens collectif, et en puisant dans ce que nous aimerions voir advenir pour modifier le présent.  « Le futur offre à la pensée des reflets d’avenir », écrit Pascal Chabot. Le philosophe propose de soulever le voile utilitariste qui recouvre le monde pour pratiquer une culture du subtil, du dissimulé, du recouvert, de ce que nous ne voyons pas :  la trame qui sous-tend nos vies. Un état d’esprit qui privilégie la finesse, la sensibilité aux signes et aux détails, le rapport authentique à l’autre à travers une amitié, une empathie, une solidarité. « L’altruisme est la clé de la conscience », affirme Pascal Chabot à la fin de ce très beau livre.

Présence au monde, altruisme, transition intérieure, trame de l’existence, tout est entré en résonance avec ce que je vivais, résonance amplifiée une semaine plus tard par mes retrouvailles avec des personnes qui me sont très chères et qui éclairent mon chemin : Thierry Janssen et Ilios Kotsou. Pendant la table ronde que j’ai modérée dans le cadre du Printemps de l’optimisme, tous deux ont affirmé l’importance d’être conscients que nous sommes en vie, de donner du sens à ce que nous faisons et de prendre soin de l’autre. Quelques jours plus tard, je les retrouvais à l’écoute d’une conférence de Jon Kabat-Zinn. Et la cloche de tinter à nouveau : « Nous sommes là et la vie se déroule, sans but à atteindre. C’est un acte d’amour que de nous connecter à chaque instant de la vie, de cultiver sagesse, compassion et gentillesse. Et de nous reposer dans la conscience pendant que notre corps respire. »

1 L’âge des transitions, Pascal Chabot, puf, mars 2015