Son style souriant, franc et naturel fait mouche, comme en témoigne un récent sondage qui la sacre personnalité favorite du petit écran belge. Pas de quoi enorgueillir Hakima Darhmouch, à la présentation du journal télévisé de RTL depuis près de 10 ans mais en en perpétuelle remise en question. Soucieuse de sortir du cadre et des clichés, sa quête principale est celle de l’authenticité.
Propos recueillis par Isabelle Blandiaux – Photos Emmanuel Laurent – Make-up & Hair Kim Printemps pour Dior
Elle arrive sans fard aucun, le visage simplement habillé d’un large sourire. Et se déleste peu à peu de sa tension entre les mains de la maquilleuse. Hakima Darhmouch est devenue sans vraiment le vouloir une femme de l’image, avec l’effet déformant qui va avec, mais poser pour des photos reste une réelle épreuve pour elle. Peur de perdre le contrôle ? Peur d’être ‘enfermée’ dans une seule expression, alors qu’elle revendique la liberté, la mobilité, l’improvisation et une identité ‘multifacettes’ ? Elle s’en sort par le rire communicatif, comme souvent, tandis que dans le rôle de l’intervieweuse interviewée, elle se livre avec générosité, ouverture et de manière très structurée. « La première fois qu’on m’a proposé de faire une maquette pour le JT, j’ai ri », se souvient-elle. « J’étais critique avec moi-même, je ne me sentais pas légitime. Puis j’ai travaillé. Mon look et mon physique sont soumis au jugement de centaines de milliers de téléspectateurs. Je l’ai accepté et je le vis un peu mieux aujourd’hui. À 37 ans, je ne perds plus de temps. J’ai fait le tri entre l’utile et le superflu, les relations toxiques et bénéfiques… Je suis heureuse et épanouie malgré cette époque qui n’est pas formidable. »
Psychologies : Vous avez repris des études, un master d’un an en management à Solvay. Dans quel but ?
H.D. : J’avais une réelle envie de me challenger, de me remettre en danger. Je suis une femme de lettres mais l’économie m’intéresse beaucoup. Je découvre d’autres façons de penser, j’ai la sensation d’avancer à titre personnel. Et professionnellement, mes patrons m’encouragent. Je suis encore très bien dans le fauteuil du présentateur de JT mais d’autres aspects de la télévision pourraient m’intéresser plus tard, me permettre de grandir encore, de me mettre plus en retrait, me sortir du flux tendu de l’actualité, pour avoir une vision à plus long terme. Réfléchir à la télé de demain me passionne.
Entre crise économique, politique, terrorisme, actes désespérés…, l’actualité telle qu’elle est relayée par la télévision est très sombre. Comment tenez-vous le cap ?
H.D. : À force de montrer des choses atroces, dures et d’en voir, j’avais peur de perdre ma sensibilité. Ce n’est heureusement pas le cas. La douleur, la déchéance, la misère, les restructurations économiques, qui sont mon lot quotidien, me touchent encore. Je me remets en question dans mon rapport à la mort, à l’accident, à l’enquête, au procès… J’ai l’impression qu’il y a un mal-être général grandissant. Les citoyens sourient moins, on dirait qu’ils étouffent. Les débats sur le rejet de l’autre, l’absence de vivre ensemble, cela plombe une société. Il ne faut pas se laisser abattre, c’est peut-être pour cela que je ris beaucoup. C’est mon mécanisme de défense, ma façon de me soigner, de dédramatiser, mon atout de séduction aussi.
Les médias sont souvent accusés de renforcer la peur ambiante. Qu’en pensez-vous ?
H.D. : Pourtant, on est de plus en plus prudents, vigilants. Depuis quelques années, nous avons resserré les limites dans le choix des images et des mots. Quand on parle de Daesh et de l’État islamique, des tas d’amalgames peuvent surgir, donc on précise systématiquement ‘groupe terroriste État islamique’. Les décapitations, on a choisi de ne pas les montrer. Lors des attentats à Charlie Hebdo, un policier a été abattu à bout portant. Cette image est passée en télé, même chez nous, parce qu’on était dans l’urgence. Elle a choqué et nous a choqués après-coup, donc au journal du soir, on ne l’a plus montrée. Nous nous remettons en question et gardons notre lucidité. Et parfois nous nous mettons trop de barrières. C’est quoi la limite entre le politiquement correct et le débat franc et sincère qui intéresse les citoyens aujourd’hui ?
Cela vous a-t-il traversé l’esprit de vous engager en politique ou dans une association ?
H.D. : Je n’ai pas envie de faire de la politique, après avoir découvert ce monde impitoyable lors de ma courte parenthèse d’il y a plus de 10 ans comme porte-parole du ministère des Affaires étrangères (avec Louis Michel, NdlR). C’était une expérience fabuleuse mais en même temps une erreur de jeunesse. J’ai beaucoup de respect pour la fonction politique, mais je n’ai pas envie d’y retourner parce que cela implique d’accepter un programme et beaucoup de contraintes. Après ce qu’on a vécu comme actualité tendue depuis le mois de janvier, nous sommes allés à la rencontre d’élèves d’écoles secondaires avec des collègues de RTL. Nous avons parfois reçu en pleine figure des questions très directes et pertinentes sur notre métier, sur la liberté d’expression, sur les caricatures, sur Charlie Hebdo. C’était très riche, très intéressant. J’ai eu de la sorte l’impression d’agir en restant intègre, cohérente avec moi-même.
Qu’avez-vous envie de dire aux jeunes Belges qui se radicalisent et partent faire le djihad en Syrie, vous qui avez grandi avec une double culture ?
H.D. : On ne peut pas tout mettre sur le dos de la crise. Il y a un vrai basculement identitaire aussi. Ils vivent ce que j’ai vécu : être né en Belgique mais dans une tradition arabo-musulmane. Ou on prend le pari de se dire que cela se mélange bien, que c’est d’une facilité déconcertante ou on devient schizophrène ou on a l’impression de devoir choisir. Je n’ai pas envie de choisir. Cette double culture est une richesse, une chance, une force et non une tare. Il m’a fallu un peu de temps pour le comprendre. Mes parents m’ont inculqué des valeurs de tolérance et de curiosité. Cela m’a aidée.
Quel est votre lien avec vos origines marocaines ?
H.D. : Je suis née en Belgique de parents marocains qui m’ont encouragée à faire des études, à saisir cette chance incroyable d’avoir accès à une instruction de qualité. Leur exigence, c’était que leurs enfants réussissent à l’école et même qu’ils y excellent. Mon père était derrière nous. J’adorais l’école, la camaraderie. À la maison, on parlait français avec mon père et arabe avec ma mère. Quand on vit dans une double culture et qu’on grandit, les rôles s’inversent à un moment. Mes parents m’ont appris des choses, puis je leur ai dit aussi des vérités qu’ils ont été prêts à entendre. Ils ont été plus cool, plus ouverts avec moi qu’avec ma soeur aînée. J’étais tétanisée à l’idée de la mixité dans le couple. Or mon mari, Hugo, est belgo-belge et wallon. Mon père et ma mère sont ravis. Il y a vingt ans, ils auraient sans doute été plus frileux. J’ai encore ma grand-mère de 104 ans qui vit au Maroc, des oncles, des tantes, des cousins. Cela fait partie de mon ADN, de mon patrimoine.
Quelle importance la spiritualité prend-elle dans votre vie ?
H.D. : Je crois en Dieu, j’ai été élevée dans une culture arabo-musulmane. Mais ma foi reste totalement dans la sphère privée. C’est là qu’on est le mieux pour pratiquer la foi : dans l’intimité, dans l’intériorité, à sa propre manière. C’était un principe de base chez mes parents : la religion, on en parle mais à la maison. Pas de prosélytisme, pas de grands débats qui peuvent dégénérer.
La radio et la télévision sont des médias d’adrénaline, d’urgence, de rapidité. En quoi cela vous correspond-il ?
H.D. : Cela a été un moteur pour moi, d’être la plus rapide sur la balle, de vivre avec mon passeport sur moi en cas de reportage urgent à l’étranger. Il m’est arrivé de partir sans bagage. Cela donne un côté magique à cette profession. C’était aussi la possibilité de voyager, d’écouter les gens, de relayer leur récit… Mais c’est vrai que cette course contre la montre quotidienne a un côté épuisant. Ce métier m’a déformée. Tout est calibré, on est tout le temps pressé. De coup, je suis devenue très impatiente dans la vie aussi. J’agis dans l’urgence, y compris dans mon quotidien. Je fais tout en dernière minute, même pour les étapes-clés de ma vie. Et je ne sais pas après quoi je cours…
Cette course est-elle une fuite en avant ?
H.D. : J’avais envie de mener plusieurs vies à la fois en courant dans tous les sens à 20 ans. Avec une cadence effrénée. Aujourd’hui, je n’ai pas le sentiment d’avoir vécu plusieurs vies mais j’ai surtout le sentiment d’être un peu fatiguée tout en ne sachant toujours pas où je vais. (Rires) Je n’ai jamais fait de projet de carrière. J’ai laissé libre cours au hasard de la vie et cela m’a réussi. Je ne sais pas ce que je ferai dans 5 ans. Je n’aime pas les règles, les habitudes, les chemins obligés. Pendant des années, on m’a demandé pourquoi je n’étais pas mariée. Je me suis finalement mariée il y a un an, assez tard. La question suivante qu’on me pose, c’est celle des enfants. Je déteste cette forme de conformisme. Cela me pousse à me demander : ‘Suis-je une extraterrestre si je n’ai pas d’enfant à 37 ans ?’
Vous n’avez pas ressenti l’envie d’en avoir ?
H.D. : Non pas pour l’instant, même si je sais qu’avec mon mari, on en aura probablement un parce que nous sommes hyper bien ensemble. Mais rien n’est calculé, établi. J’ai une vie bien remplie. Et on est déjà très bien à deux. On peut aussi avoir un enfant après 40 ans. La maternité me fait peur. J’ai parfois l’impression que je n’arrive déjà pas à me gérer moi-même, alors gérer un enfant, c’est une responsabilité et beaucoup d’amour. Est-ce que j’ai autant d’amour en moi ? Je n’ai pas l’envie égoïste d’accomplissement de femme en tant que mère et je n’ai pas encore trouvé en moi la future maman qui sommeille.
Avoir un enfant, c’est aussi perdre le contrôle de sa vie. Se marier également, non ?
H.D. : En me mariant, j’ai laissé quelqu’un franchir la porte pour la première fois. C’est se dévoiler et faire confiance, chose très difficile pour moi. C’est compliqué de trouver la personne avec qui on est en phase, avec qui passer du temps chouette, agréable. La personne qui vous comprend au moindre regard, avec beaucoup d’amour et de bienveillance. C’est ce que je vis avec mon mari, Hugo. Ma rencontre avec lui a été un tournant dans ma vie. Avec mon mariage, j’ai ouvert une autre page passionnante et passionnée. Je me sens mieux aujourd’hui qu’à 25 ans.
Vous avez plus confiance en vous ?
H.D. : Ce n’est pas encore cela mais je viens de loin. (Rires) Je me sens plus sereine, responsable, lucide, consciente. À 25 ans, j’avais envie de tout : être belle, talentueuse, compétente, accomplir plein de rêves, voyager, me faire beaucoup d’amis, sortir, aménager mon appart’… Je voulais rayonner. Aujourd’hui, j’aspire à du calme, à être moi-même, à de bonnes tranches de rire, de lecture, de partage autour d’un dîner, de belles discussions qui n’en finissent pas, de relations profondes et sincères, de véritables amitiés… Je suis moins dans l’envie de plaire à tout le monde, moins dans le paraître.
Vous avez été élue personnalité télé préférée des Belges en janvier dernier1. Comment gérez-vous votre notoriété ?
H.D. : Un sondage, c’est une photographie à un moment donné. Cela me touche même si dans un an, je serai peut-être 8e. Les gens ont des mots gentils à mon égard en général ou alors on échange sur l’actualité. Je suis très mal à l’aise quand le patron veut m’offrir le dessert au restaurant. Je n’ai pas envie de traitement de faveur. Je suis restée moi-même. Ce métier m’a appris qu’on ne pouvait pas plaire à tout le monde de toute façon. On n’est jamais préparé aux insultes misogynes ou racistes, qui ont été plus fréquentes ces derniers mois. On a souhaité ma mort, par courrier interposé. Je refuse de dire que la Belgique devient raciste mais il y a de la peur. Pour moi, la clé de tous ces problèmes-là, c’est la mixité, le mélange de nationalités dans les quartiers. Inconsciemment, me marier avec un blond aux yeux verts, c’est un message de paix et d’ouverture. Il faut arrêter les constats et enfin agir : soutenir les jeunes, leur rendre confiance, leur rappeler qu’ils sont Belges, plutôt que basanés, étrangers. Des actions de partage et pas une politique sécuritaire qui renforce la peur.
Avez-vous déjà eu recours à une psychothérapie ?
H.D. : Oui, j’ai eu besoin de parler de ma double culture à un professionnel. Je me posais des questions sur comment l’assumer pleinement. Cela m’a confortée dans ma recherche identitaire. Je me suis surtout rendu compte que toutes ces notions de religion, de nationalité, de communauté, de pays font ces identités or nous sommes tous pareils, des individus avec nos angoisses, nos rêves, nos envies, la même finalité… Un seul mot diffère sur notre carte d’identité et cela nous met dans une case. Cela me fait penser au livre d’Amin Maalouf, Les Identités Meurtrières. Je suis Belge d’origine marocaine, je suis Européenne, je suis Bruxelloise, je suis femme, je suis libre, je suis journaliste, je suis étudiante… J’aime l’idée de ne pas rester enfermée dans une identité à l’heure où certains veulent fermer des frontières.
Avez-vous des peurs ?
H.D. : J’ai peur de la mort et la maladie. Je suis hypocondriaque pour moi et pour les autres. Je ne peux pas imaginer des proches souffrir. C’est angoissant, la fin. Cette peur m’habite depuis l’enfance. Mon premier contact avec la mort a été le décès de mon grand-père, que je ne connaissais pas bien parce qu’il vivait au Maroc. Ce que j’ai retenu de son décès, ce sont les terribles larmes de ma mère. Ma peur vient du fait d’avoir vu la tristesse, la souffrance que la mort pouvait engendrer chez elle. La douleur qu’on peut ressentir à ne plus voir une personne qui nous est chère. J’ai aussi peur de l’ennui, de ne pas m’être assez amusée tout au long de ma vie.
- Sondage Ipsos Le Soir / Sud Presse, janvier 2015.
Bio
Hakima Darhmouch est née le 2 avril 1978 à Bruxelles, cadette d’une fratrie de quatre enfants. Ses parents sont arrivés du Maroc en Belgique en 1974, suite à un appel à la main-d’oeuvre pour l’industrie sidérurgique. « Mon père a quitté les bancs de l’université au Maroc où il enseignait pour saisir cette opportunité de venir en Belgique. Il allait travailler à Charleroi en train. Il a étudié la chimie industrielle et a enseigné cette matière à son tour en cours du soir. Ma mère nous a courageusement élevés, tous les quatre. On se disputait et on s’amusait beaucoup tous ensemble. La famille reste un pilier pour moi », dit-elle. Elle fait des études de communication à l’ISFSC à Bruxelles où elle se passionne pour la radio. Elle commence à travailler pour Radio Nostalgie à 19 ans, le week-end, pendant ses études, ensuite elle rentre à Bel RTL (1999) puis à la rédaction de RTL-TVi. Vers 25 ans, elle a brièvement été porte-parole du ministère des Affaires étrangères (MR) avant de revenir à RTL où elle présente le journal télévisé depuis 9 ans (2006). Elle y a animé différentes émissions en télé (Entrée interdite) comme en radio (Vivre ensemble).