Après le toucher, la vue et le goût, le 4e sens mis à l’honneur de notre rubrique sur le bien-être au travail est l’ouïe. Dans un monde d’hyper stimulation visuelle, les auditifs ne sont pas gâtés. La place de la communication orale au travail, l’impact du bruit sur la performance, la voix comme outil ou comme handicap, et puis aussi l’importance de l’écoute, voici les thèmes abordés dans notre rubrique ce mois-ci.
Par Daniëlle De Wilde et Fabienne Doyen, senior coachs au BAO Group – Photos Mathilde Troussard – Modèles : Jonathan Robert et Hedwig Schaap – Stylisme : Robe et pull femme Annemie Verbeke. 64 rue Antoine Dansaert 1000 Bruxelles- Hôtel Steingenberger, Suite Royale. 71 Avenue Louise, 1050 Bruxelles
Le canal auditif
En ce monde d’hyper-communication, force est de constater que bien des messages s’adressent en priorité aux visuels. Télévision, clips, films YouTube, livres, medias sociaux, e-mails, chats, selfies,… tout passe par la vue. Et les auditifs dans tout ça ? Pas gâtés…Suivant les études réalisées en Occident, 20 à 30% de la population privilégie ce canal perceptuel pour acquérir et enregistrer l’information, contre une grande majorité de visuels (50 à 60%) et une petite minorité de kinesthésiques (10 à 15%). Les personnes qui privilégient le canal auditif vont mieux retenir les informations si vous leur expliquez les choses de vive voix, s’ils peuvent enregistrer un son. Comme par exemple les étudiants qui ont besoin de répéter leurs leçons tout haut pour les mémoriser. Être plus sensible aux stimulations de l’ouïe qu’à celles de la vue peut aussi influencer nos réactions dans notre environnement de travail. Comment réagit-on aux bruits ambiants? Aux voix des collègues au téléphone? Aux bavardages de ceux qui se détendent? Tous ces stimuli auditifs sont d’autant plus présents dans les organisations qui ont opté pour les fameux ‘open spaces’. Si l’espace n’a pas bien été conçu ou si les habitudes en matière de bruit ne s’adaptent pas, ce genre d’environnement peut être une réelle torture pour les auditifs. Un travailleur d’une société de services, récemment passée en paysager, nous confiait que pour arriver à se concentrer, il avait décidé de s’équiper d’un casque antibruit. Casque volumineux sur les oreilles, souris en main, yeux rivés sur l’écran… sa réputation fut vite faite : asocial, individualiste, ‘geek’,… pas facile de trouver des solutions pour cet hypersensible de l’ouïe.
La communication orale et la voix
Dans le monde du travail comme ailleurs, la communication écrite est omniprésente, l’oral se perd. On ne se téléphone presque plus, on se « maile » ou on se « texte ». Pour deS tas de bonnes raisons : pour ne pas déranger, par souci d’efficacité, pour garder une trace de l’information donnée, pour essayer d’être plus clair ou structuré,… Néanmoins beaucoup de fonctions requièrent encore et toujours la communication orale. Alors à quoi faire attention dans ma communication orale pour avoir le plus de chance de faire passer mon message ? Bien sûr le choix des mots est primordial, mais au-delà de cet aspect, notre voix joue un grand rôle dans l’échange. La voix, instrument par excellence de la communication orale, est sujet de plaisir ou de complexes (voir aussi les témoignages en annexe de cet article). Beaucoup de personnes détestent entendre leur propre voix : trop haute, trop grave, trop enfantine, trop dure,… nous sommes souvent très critiques envers notre voix. C’est pourtant un outil précieux, à chérir et à apprivoiser, comme tous les outils. Les coachs vocaux nous apprennent comment utiliser notre voix à bon escient : la placer dans le juste ton, le bon débit, jouer avec le rythme pour capter l’attention. Plus simplement, exercez-vous à adapter le ton et le rythme de vos paroles à celui de votre interlocuteur et voyez à quel point cette synchronisation améliore la relation et le niveau d’écoute.
L’importance de l’écoute
De plus en plus d’organisations comprennent réellement l’importance du bien-être au travail et sont en recherche d’approches hors des sentiers battus pour amener les collaborateurs à ‘se retrouver’ par une réelle écoute. De là, l’intérêt croissant pour le coaching, une approche axée sur l’écoute. Le coach écoute sans jugement et avec toute la bienveillance nécessaire pour créer un climat de confiance, mais, surtout, le coach facilite un espace où le coaché peut s’entendre dire lui-même ces choses qu’il ne savait pas… qu’il savait. Et se laisser surprendre par cette sagesse intérieure à laquelle le brouhaha ambiant empêche d’accéder. Comme Ulysse, nous sommes tous confrontés à des processus qui nous challengent pour devenir la personne que nous sommes vraiment. Nous sommes tous ce capitaine et aventurier en quête de sagesse qui continuait à suivre son cap (sa vocation) et qui, après avoir fait mettre de la cire dans les oreilles des matelots (les archétypes à notre service), s’attacha au mât de son navire (la conscience) avec une corde pour continuer sa route sans se laisser entraîner par le chant ensorcelant des Sirènes, les femmes pirates (les dangers et tentations). Vu ainsi, le coaching est un art, comme la poésie: l’art de faire silence en soi, de faire taire ces voix intérieures, assourdissantes comme des sirènes, qui ont souvent un discours limitant. Faire silence et ouvrir grand nos oreilles, pour écouter la voix inspirante de quelque chose qui dépasse les limites qu’on s’impose. Savez- vous combien de temps quelqu’un peut vraiment écouter inconditionnellement sans être interrompu par son verbiage intérieur ou se laisser distraire par d’autres détails externes? 8 secondes! Une écoute attentive et vigilante est pourtant primordiale pour survivre dans la nature. Ainsi en est-il dans la jungle entrepreneuriale: pour survivre, mais surtout pour vivre et prospérer, une bonne culture d’écoute et de questionnement est primordiale. Une culture d’organisation où les gens s’intéressent vraiment les uns aux autres, à ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent et ce à quoi ils aspirent. Les bons dirigeants prennent le temps de s’asseoir avec les membres de leur personnel et les encouragent à dire ce qu’ils ont dans la tête et dans le cœur. Et ils les incitent à faire de même entre eux afin de cultiver une réflexion plus profonde, plus sociale et plus enthousiaste, susceptible de les rendre plus heureux, créatifs et productifs.
Se raconter des histoires
Pour inviter les hommes et les femmes du monde de l’entreprise à entrer dans des expériences dépassant les voix souvent asphyxiantes du mental, les coachs du BAO Group se laissent inspirer par de techniques aussi anciennes que la nuit des temps. Les temps où les membres de la tribu se rassemblaient autour du feu et où les anciens partageaient les histoires de générations en générations. La culture orale, le récit des histoires et des expériences vécues sont un trésor dans lequel nous pourrions davantage puiser pour inspirer et être inspirés. Pour retrouver notre voie véritable, faire silence pour mieux écouter et entendre la voix du cœur, nous proposons à nos groupes des activités basées sur des rituels anciens qui ont fait leur preuve, comme par exemple la hutte de purification où, plongés dans l’obscurité totale, la chaleur mais aussi les chants, les partages de nos histoires et l’écoute de nos vœux intimes nous ouvrent des perspectives insoupçonnées. Et puis, parfois, le trésor que nous cherchons est juste à nos pieds. Savez-vous que dans l’infrastructure de tous les jours, chacun d’entre nous fait usage de la technique du ‘storytelling’ ? Nous racontons des histoires en prenant un break, lors de meetings, dans le bus, à table. Les histoires sont fondamentales pour l’interaction sociale, elles sont une passerelle, une forme d’expression, de mémoire et d’imagination qui relie, qui décrit et raconte l’aventure humaine. En écoutant l’histoire de l’autre, je me connecte à ma propre histoire pour un enrichissement mutuel. Et si ce soir, plutôt que d’allumer la télévision, vous racontiez un épisode de votre histoire à quelqu’un de votre entourage?
Ma voix, mon instrument de travail.
Ils font des métiers différents et témoignent en quoi leur voix est une alliée précieuse dans leur vie professionnelle. Même si, parfois, l’alliée a d’abord dû être apprivoisée…
Témoignages recueillis par F. Doyen et B. Etienne, du BAO Group.
Luc Maertens, professeur de néerlandais à la retraite.
Ma voix me permet pas mal de variations, ce qui la rend plus agréable à écouter. Dans mon travail d’enseignant, elle m’a permis de capter facilement l’attention des étudiants. Jouer sur l’intonation ou le rythme permet d’enthousiasmer, d’éveiller la curiosité, de maintenir une tension dans l’auditoire. Comme ma voix porte loin, je peux me faire entendre tout en gardant un ton calme et enjoué. Je pouvais ainsi détendre rapidement l’ambiance dans une classe nerveuse. Mon pire souvenir fut un chantier de construction à proximité de l’école. Le bruit était très fatigant pour moi et bien sûr pour les étudiants qui étaient assis là toute la journée. J’ai eu tendance à parler plus fort pour couvrir le bruit, mais ce fut encore pire: mal aux cordes vocales de mon côté et plus de bavardages et d’agitation du côté des élèves. Si je n’avais pas changé mon fusil d’épaule à la leçon suivante, cette spirale négative aurait pu saper mon autorité.
Françoise Wallemacq, journaliste radio RTBF.
Ma voix est bien sûr mon outil de travail. Je remarque que mes collègues débutants aiment rarement se réécouter. Il faut du temps pour « apprivoiser » sa propre voix et supporter de s’entendre. La voix est aussi extrêmement dépendante de l’état émotionnel. Après le deuil d’un proche par exemple, j’ai eu besoin de plusieurs semaines pour affronter le micro, surtout en direct ! Ma voix tremblait…Impossible de chanter également (je suis dans une chorale). La voix est également une empreinte personnelle au même titre que les empreintes digitales. On parle d’ailleurs du « timbre » ! Il m’arrive très souvent de croiser des inconnus qui me reconnaissent uniquement suite à quelques mots échangés. C’est toujours troublant et émouvant. C’est la magie de la radio qui n’impose aucune image, aucun écran entre la voix et l’auditeur. L’irruption des caméras dans les studios radio ternit cette alliance mystérieuse entre le locuteur et l’auditeur !
Serge MAUCQ, juriste, philosophe et théologien.
Le bruit ambiant a peu d’incidence pour le travail « au quotidien » car je peux assez facilement me concentrer et faire abstraction de ce qui est dérangeant autour de moi. Et puis, je fais régulièrement mon plein de silence en abbaye, à la campagne, dans une église ou une chapelle. Au travail, je préfère communiquer oralement. Ce sera certainement le cas lorsque la communication s’annonce facile, ou, au contraire, lorsque le message à faire passer est particulièrement difficile. De façon générale, je considère ma voix comme une alliée. Plutôt forte et « assurée », elle me rend assez spontanément présent. On me dit généralement que ma voix porte, que je n’ai pas besoin de micro. Mais quand je m’écoute en enregistrement, ma voix me paraît chaque fois différente de ce à quoi je m’attends !
Stéphanie Coerten, 42 ans, comédienne, présentatrice, modératrice.
Toutes mes activités passent par la voix: jouer, chanter, improviser, donner cours, enregistrer des bandes-sons pour des films documentaires, animer des débats, présenter des festivals… Ma voix est mon premier outil de travail! Du coup, je la chouchoute, je la protège grâce à de nombreux moyens appris chez ma formatrice en pose de voix parlée et chantée, Marcelle De Cooman, et grâce à un traitement approprié dès l’approche d’un rhume! Je ne fume pas, je sors peu, et surtout, j’évite les lieux enfumés ou trop bruyants où la bavarde que je suis ne pourrait pas s’empêcher de forcer la voix pour se faire entendre… J’aime ma voix : elle a beaucoup de graves, ce qui la rend douce et chaleureuse, elle est très féminine. J’ai pris conscience aussi qu’elle était très différente selon la langue que je parle, l’anglais et le néerlandais utilisant des résonateurs différents du français.
Jérôme van Lidth, responsable des ventes.
Dans mon travail et sans hésiter, je communique par voie orale. En effet, celle-ci permet une communication plus directe, plus en relation. Un objectif essentiel du processus de vente est de bien comprendre les besoins de son interlocuteur et l’écoute active en face à face apporte dès lors un réel plus. Au bureau, j’apprécie le calme pour une concentration plus grande dans mon travail. Je pense avoir une voix chaleureuse et douce. Cette caractéristique aide par exemple à faire passer certains messages et à apaiser les tensions. Ma voix est ainsi un outil essentiel car elle m’aide à construire un climat de confiance dans la relation avec mes clients. Elle est aussi un élément à part entière pour convaincre les autres. Une parole claire et un ton assuré sont nettement plus convaincants qu’une voix hésitante.
Ann De Wilde, professeur à l’Université de Gand et doula (accompagnatrice de grossesse).
Dans mon coaching des femmes enceintes, les sons et ma voix sont essentiels. Je leur parle doucement et sans à-coup lors des exercices de relaxation et surtout de l’accouchement. J’utilise la musique pour créer une ambiance. Surtout lors de l’accouchement, je recommande aux femmes d’apporter leur propre musique. Il arrive souvent que nous chantions ou fredonnions ensemble. Je ressens ma voix comme fragile. Quand je m’entends parler, je trouve que ça sonne enfantin malgré mon âge. J’ai tendance à parler à voix basse, car les éclats de voix me font peur : j’associe parler fort à se disputer. J’ai d’ailleurs suivi des cours pour surmonter ma peur de chanter et de prendre ma place en faisant entendre ma voix de façon affirmée.