Lorsque que l’on est psychologue et que l’on décide de travailler en s’inspirant du courant de la psychologie positive, il n’est pas rare d’entendre « La psychologie positive ? Ah bon ! Je ne connais pas. C’est le contraire de la psychologie négative ? ». C’est évidemment bien plus que cela et le monde du travail a vraiment intérêt, à plus d’un titre, à en appliquer quelques bons principes… Explications.
Par Geraldine Hennixdal, psychologue et consultante pour spmt Arista, Service Externe de Prévention et de Protection au Travail – photos Mathilde Troussard – modèles Morgane Wittenauer et Deborah Flusin.
Je vais bien, tout va bien…
Amenée sur le devant de la scène par Martin Seligman au début des années 2000, la psychologie positive est définie comme étant « l’étude des conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des gens, des groupes et des institutions ».
Elle ne se limite donc pas à l’épanouissement personnel mais englobe également les relations interpersonnelles et, à un niveau plus macro, la composante sociale et politique de la société en identifiant les facteurs sociaux du mieux-vivre ensemble.
Elle étudie le comportement des gens « qui vont bien » et qui souhaitent « aller encore mieux ». Cela permet de comprendre ce qui rend les gens heureux de manière profonde et durable et de mieux connaître quelles sont les stratégies qu’ils mettent en place lorsqu’ils font face à l’adversité (les soucis quotidiens, le deuil, une perte d’emploi, un quelconque renoncement,…).
La psychologie positive ne va pas ignorer les difficultés, les obstacles, ou les différentes blessures que nous avons acquises tout au long de notre vie. Elle ne va pas non plus se limiter à la pensée positive et nous convaincre qu’il suffit de croire que le monde est beau et facile pour qu’il le soit et que seule notre volonté suffit. Elle va démontrer que nous avons beaucoup à gagner à cultiver des émotions positives mais que les émotions perçues comme désagréables (comme par exemple la tristesse ou la colère) ont également leur place dans notre fonctionnement. C’est l’équilibre qui est important et qui fonde la richesse de notre personnalité.
Par rapport à ce qu’elle n’est pas, la psychologie positive ne rejette en rien les connaissances qui ont été acquises jusqu’à présent dans le domaine de la psychopathologie. Elle va évidemment s’intéresser à la souffrance que l’individu éprouve afin de la soulager, mais elle tendra alors plus à le ramener dans un présent actif et un futur rempli d’espérance que vers un passé douloureux. L’énergie sera mise principalement dans le « comment » dépasser la problématique qui me gêne plutôt que dans le « pourquoi » cela m’arrive-t-il à moi ?
Ce courant scientifique de la psychologie part donc du postulat qu’en parallèle des diverses problématiques et dysfonctionnements tant individuels que collectifs, il existe une vie riche de sens et de potentiel. Nous allons donc nous intéresser à la santé et au bien-être des gens et à ce qui les rend heureux, optimistes et résilients.
Le bonheur, au travail aussi
Les employeurs qui investissent dans le bien-être de leurs travailleurs sont bien souvent récompensés : diminution de l’absentéisme, augmentation de la motivation et de l’implication au travail, amélioration de la bonne humeur et donc de l’ambiance générale qui règne au travail. De nombreuses études prouvent par ailleurs que les entreprises dans lesquelles les travailleurs se sentent heureux sont plus souvent rentables et productives que celles où les individus ne se sentent pas reconnus à leur juste valeur.
Il est donc primordial de développer la prévention psychosociale qui augmentera les chances pour les travailleurs de trouver une activité professionnelle pleine de sens, en adéquation avec leurs valeurs personnelles et qu’ils soient encadrés au quotidien par un management également engagé dans cette voie.
Maggy est psychologue du travail, convaincue par l’apport de la psychologie positive en entreprise : « La psychologie positive ne se focalise pas sur le côté pathologique et elle propose en plus des moyens accessibles, concrets et pragmatiques. Elle est donc tout à fait appropriée au monde du travail qui peut y pêcher des idées pour construire des programmes de promotion de la santé et de prévention psychosociale pour les travailleurs ».
Deux outils peuvent aisément être mis en application par les entreprises qui souhaitent évoluer dans ce sens.
1. Le compas Bien-Être
Le compas Bien-Être est un outil qui permet au travailleur de prendre soin de sa santé à la fois mentale et physique. Il part du principe que 4 domaines sont liés et s’influencent les uns les autres, par le biais notamment des substances biochimiques telles que la sérotonine, la dopamine, la leptine et le cortisol.
Ces 4 domaines intrinsèquement liés sont :
– Un sommeil de qualité
– L’activité physique
– Les émotions positives
– Une alimentation saine
Le compas Bien-Être suppose donc que nous sommes maîtres d’influer sur notre santé : un comportement sain dans un domaine va impacter un autre, tandis que les mauvaises habitudes que nous avons au quotidien auront pour effet de perturber l’ensemble de notre fonctionnement.
En application de cet outil, de nombreuses entreprises mettent à la disposition de leur personnel des moyens qui leur permettent de prendre soin d’eux (salle de sport, cours de yoga, massages en entreprises, formations en développement personnel, en-cas sains, repas équilibrés,…). « J’ai eu l’occasion de suivre plusieurs
formations en développement personnel, raconte Igor, employé dans une entreprise de la grande distribution. J’y ai beaucoup appris sur moi-même et aussi sur les autres. Mieux réguler ses émotions, mieux communiquer avec les autres, augmenter sa tolérance vis-à-vis des collègues qui ne fonctionnent pas comme nous, tout cela a amélioré considérablement et positivement mes relations au et en dehors du travail. Cela a eu aussi un impact sur la manière dont je perçois les choses. Je rumine moins et du coup, je dors mieux ! Des efforts ont été également faits à la cantine qui propose des menus bien plus équilibrés. De plus, mon employeur a des valeurs fortes tant humaines qu’écologiques, sans jamais évidemment perdre de vue le côté rentabilité de l’entreprise. Finalement, je me sens dans une relation gagnant-gagnant : l’entreprise prospère, grandit de même que les individus qui la composent. Même si la pression au travail existe, je trouve que ça la rend beaucoup plus supportable ».
Ce type de programme augmente encore son potentiel auprès des travailleurs dès lors que le management organisationnel y adhère, en appliquant lui-même les principes qu’il promeut. Si votre directeur fait l’impasse sur tous ses dîners et attend que vous en fassiez de même, hurle en réunion sur ses collaborateurs et vous envoie des mails jusque tard dans la nuit en espérant recevoir une réponse de votre part, il y a un risque certain qu’il mette l’outil en péril. Tout est une question de culture d’entreprise et de choix stratégiques conscients…
2. Les forces de caractère
Outre la recherche du bonheur, y compris au travail, la psychologie positive étudie également les forces de caractères et les vertus qui permettent aux personnes et aux communautés de prospérer et de s’épanouir. C’est l’un de ses outils les plus puissants.
Dans le milieu professionnel, il s’agit pour le travailleur de déployer ses propres forces de caractère au service d’un but commun, ce qui va générer du sens pour lui, qui est par ailleurs un facteur de protection contre le burnout.
Des études mondiales ont été menées par des chercheurs en psychologie positive qui ont mis à jour un catalogue de 6 vertus et de 24 forces de caractère. Les voici :
VERTUS | FORCES DE CARACTERES |
Sagesse et connaissance (qui nous poussent à apprendre) | Créativité, curiosité, ouverture d’esprit, amour de l’apprentissage, perspective |
Courage (la volonté de continuer malgré une opposition interne ou externe) | Authenticité, bravoure, persévérance, enthousiasme |
Humanité (qui nous relie et nous engage auprès des autres) | Gentillesse, amour, intelligence sociale |
Justice (qui organise une vie communautaire saine) | Équité, leadership, travail d’équipe |
Modération (qui nous protège contre les excès) | Pardon, modestie, prudence et autorégulation |
Transcendance (qui nous relie à une dimension universelle et qui apporte un sens à la vie) | Appréciation de la beauté, gratitude, espoir, humour et spiritualité |
Les forces représentent notre mode de fonctionnement naturel qui fait que nous sommes énergiques et performants. Ces forces sont déjà en nous, sont plus ou moins développées et elles composent notre personnalité. Elles influencent directement la manière dont nous pensons, nous nous sentons et nous nous comportons. Même si nous pouvons les développer, elles sont tout à fait différentes des compétences professionnelles que nous avons dû acquérir.
Gabriel est dirigé par un manager qui utilise cet outil pour aider l’équipe à donner le meilleur d’elle-même : « C’est agréable et beaucoup moins stressant de pouvoir travailler avec ses forces, raconte-t-il. Cela n’empêche cependant pas d’être parfois mis en dehors de sa zone de confort et de développer d’autres aspects de sa personnalité via des objectifs stratégiques à atteindre ».
Dans le milieu professionnel, un manager a tout intérêt à connaître les forces de caractère principales de ses collaborateurs. Prenons par exemple l’équipe de Jean-Jacques qui doit travailler sur l’implantation de la politique préventive en matière d’alcool et de drogue sur le lieu de travail. Comme le leadership est bien l’une de ses forces, il pourra lors d’une réunion de service préparatoire distribuer judicieusement les missions. C’est comme ça que Stéphanie pourra, à l’aide de sa force d’ouverture d’esprit, analyser minutieusement les tenants et aboutissants du projet, aidée d’Alexis dont la prudence mettra en avant une grande majorité des risques potentiels. Marc apportera sa créativité car la direction attend un programme novateur et sur-mesure par rapport à la réalité de l’entreprise. Théo, avec son grand sens de l’humour et la manière dont il a de présenter chaque chose sous son côté le plus positif, accompagnera Jean-Jacques lors de la présentation du projet à la direction. Il sera d’une grande d’aide pour détendre l’atmosphère face à ce sujet plus sensible.
Via un test gratuit, il est possible à chacun d’avoir la classification de ses forces de caractère (https://www.viacharacter.org) et renforcer la cohésion de l’équipe en faisant mieux connaissance. Reste ensuite au manager et ses collaborateurs d’être inventifs et créatifs pour jouer avec ces forces, en tirer le meilleur parti pour l’objectif commun, permettre à chacun d’exprimer ses compétences de manière optimale dans le but d’augmenter le bien-être au travail de tous.
En conclusion
Le monde du travail change, les travailleurs attendent beaucoup plus de leur travail qui est devenu un pôle dans lequel ils cherchent également leur épanouissement. La psychologie positive agit directement :
– Sur le travailleur en améliorant son bien-être personnel tant dans sa vie au travail qu’en dehors de celle-ci ;
– Sur les équipes en améliorant l’entraide, la cohésion et donc la performance et la productivité de l’entreprise ;
– Sur la société en améliorant une partie des conditions de travail, en maintenant les travailleurs dans une activité professionnelle épanouissante, ce qui a donc directement un impact sur la prévention des maladies longue durée par exemple.
Porteuse d’espoir et d’optimisme, la psychologie positive doit être vue comme un courant riche et pragmatique qui a sa place dans les entreprises pour les aider à développer le bien-être au travail, parallèlement à la productivité.
En savoir plus: Infos au 0494/502.909 ou geraldine.hennixdal@hotmail.com